Cour suprême du Canada - [1950] R.C.S. 211
Même s’il ne le mentionne pas, d’une certaine manière, le St. Ann’s Island Shooting & Fishing Club a été la première décision de la Cour suprême à reconnaître et à examiner les relations fiduciaires entre la Couronne et les Autochtones (Rotman, 2003: 370). La Couronne doit agir avec diligence et soin lorsqu’elle traite pour les Indiens – dans ce cas, un décret autorisant le bail ne peut pas être conçu comme donnant au surintendant général le pouvoir de négocier un autre bail avec le Club, avec de nouvelles conditions, plus plus de cinquante ans plus tard. Si un nouveau bail est nécessaire, un nouveau décret du gouverneur en conseil est nécessaire.
Le surintendant général des Affaires indiennes avait-il le pouvoir de conclure un nouveau bail avec le St. Ann’s Island Shooting and Fishing Club, et la cession de l’île Walpole par les Indiens Chippewas et Pottawatomie était-elle totale et définitive?
Le pourvoi est rejeté avec dépens.
Entre: St. Ann’s Island Shooting and Fishing Club Ltd.
Et: Le Roi
En 1880, une résolution est adoptée par le Conseil des Indiens Chippewas et Pottawatomie de l’île Walpole afin de louer une partie de leurs terres de réserve au St. Ann Island Shooting and Fishing Club. Le bail contient des dispositions permettant à la bande de conserver leurs droits de chasse et de pêche sur les terres louées.
En 1881, le surintendant général des Affaires indiennes a exécuté le bail pour une durée de cinq ans. Ce bail était également renouvelable à son expiration pour une durée similaire. Après l’exécution du contrat de location, le St. Ann Island Shooting and Fishing Club s’est enquis de la validité du bail, et a voulu savoir si cet accord était en fait une cession de terres de réserve de la part du conseil de bande. Selon l’article 51 de la Loi sur les Indiens, seules les terres indiennes cédées à la Couronne peuvent être louées à un non autochtone.
En 1882, après consultation avec les Chippewas, le surintendant de Sarnia a informé le St. Ann Island Shooting and Fishing Club qu’une cession formelle avait été effectuée, et que l’erreur avait été corrigée. Le décret P.C. 529 acceptait la cession en avril de la même année.
En 1884, 1892, 1894 1906 et 1915, de nouveaux baux ont été signés entre les mêmes parties, mais uniquement ceux de 1894, 1906 et 1915 incluaient des stipulations de renouvellement.
En 1925, le surintendant général des Affaires indiennes a convenu d’un nouveau bail avec les administrateurs du St. Ann’ s Island Shooting and Fishing Club pour une durée de vingt ans, avec possibilité de renouvellement pour dix années supplémentaires. Pour la première fois, le bail n’incluait aucun droit de chasse et de pêche pour les membres de la bande.
En 1945, le St. Ann’s Island Shooting and Fishing Club a présenté une requête devant la Cour de l’Échiquier du Canada en alléguant avoir le droit de renouveler le bail de 1925 et de demander que le loyer soit fixé par arbitrage.
Le St. Ann’s Island Shooting and Fishing Club a plaidé que le décret 529 avait confirmé la validité de leur bail et reconnu la cession des terres à la Couronne à la condition qu’elles soient louées au Club. Il a également plaidé que le décret permettait au surintendant général des Affaires indiennes de participer à de nouvelles négociations avec le Club, et que la Couronne ne pouvait contester le bail.
La Couronne a fait valoir que la cession totale des terres n’était pas prévue. Tout au plus, avait-on convenu d’une cession temporaire pour la durée du bail. De plus, le gouverneur en conseil n’avait pas délégué son pouvoir de conclure des baux au surintendant général des Affaires indiennes, ce qui signifie que le premier accord conclu en 1881 n’était pas valide
Cour de l’Échiquier du Canada (1949) : Le tribunal a jugé que l’article 51 exigeait qu’une directive soit émise par le gouverneur en conseil afin de procéder à une cession valide de terres indiennes. L’absence de décret a rendu le bail non exécutoire malgré le libellé s’apparentant à une cession de la part des Indiens dans le bail. Le juge Cameron a fait valoir que, puisque le bail de 1925 n’avait jamais été confirmé par décret, l’acte était nul. Par conséquent, la clause de renouvellement était invalide, car aucune cession totale et définitive n’a été donnée en faveur St. Ann’s Shooting and Fishing Club.
Kerwin, Taschereau, Rand, Estey et Locke
Le juge Taschereau (juge Locke) a conclu que la cession avait pour but de légaliser et ratifier le bail signé précédemment entre la bande et le Club. Le décret autorisant le bail ne peut être interprété comme accordant au surintendant général le pouvoir de négocier avec le club un autre bail, à de nouvelles conditions, plus de cinquante ans plus tard. S’il était jugé opportun de conclure un nouveau bail, un nouveau décret du gouverneur en conseil devait être adopté en vertu de l’article 51 de la Loi sur les Indiens. Puisqu’aucun décret n’a été adopté en 1925, le bail signé cette année-là entre le surintendant général et le Club est nul.
Le juge Rand (juge Estey) a noté qu’il n’y avait eu aucune cession totale et définitive des terres. L’accord était de nature similaire à un permis de chasse et de pêche accordé au Club sur les terres indiennes, tant que la bande y maintiendra ces droits et privilèges. Il a également confirmé les principes de l’arrêt St. Catherine’s Milling’s, en n’effectuant aucune distinction entre la cession permanente par une bande d’une fraction de leurs droits sur une partie de leur territoire, comme ce fut le cas dans l’arrêt St. Catherine’s Milling’s, et la cession de tous leurs droits pour une durée déterminée sur une partie de leur territoire, comme dans le cas qui nous occupe. En ce qui a trait au fait que la Couronne était forclose de contester le bail de 1925, il a conclu que cela ne s’appliquait pas lorsque la Couronne contestait un acte fondé sur une législation visant à protéger un certain groupe de la population canadienne, comme c’est le cas de la Loi sur les Indiens qui vise à protéger les Indiens qui sont des pupilles de l’État.
L’arrêt St. Ann’s Island Shooting & Fishing Club est la première décision de la Cour suprême à reconnaître et examiner la relation fiduciaire entre la Couronne et les autochtones (Rotman, 2003 : 370).
Trente-cinq ans plus tard, dans la décision historique de Guerin, la Cour suprême a réaffirmé l’existence de la relation de fiduciaire et les obligations qui en découlent pour la Couronne. Celle-ci doit toujours respecter les normes les plus élevées, et doit toujours agir dans l’intérêt de la Première nation concernée lorsqu’elle décide de céder des terres. Cette obligation peut être exécutée par les tribunaux lorsque l’État omet d’agir avec diligence (Guerin c. La Reine). Ce principe a été confirmé dans des décisions subséquentes : Bande indienne de Blueberry River c. Canada [1995] 4 R.C.S. 344, Bande indienne d’Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 11, Bande indienne de Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245 et Bande indienne d’Osoyoos c. Oliver (Ville de), [2001] 3 R.C.S. 746.
Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335
Bande indienne de Blueberry River c. Canada [1995] 4 R.C.S. 344
Bande indienne d’Opetchesaht c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 1
Bande indienne d’Osoyoos c. Oliver (Ville de), [2001] 3 R.C.S. 746
Bande indienne de Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245
Rotman Leonard I. 1996. Parallel Paths: Fiduciary Doctrine and the Crown-Native Relationship in Canada. Toronto : University of Toronto Press.
Rotman Leonard I. 2003. Crown-Native Relation as Fiduciary : Reflections Almost Twenty Years After Guerin, in Windsor Yearbook of Access to Justice 22: 363-396.