Rio Tinto Alcan Inc. c. Carrier Sekani Tribal Council

Cour suprême du Canada – [2010] 2 S.C.R. 650


Colombie-Britannique ConsultationDroits ancestrauxHonneur de la CouronneTerritoire traditionnel
Sommaire

La Cour suprême confirme que les Premières Nations peuvent obtenir une compensation pour manque de consultation. Si la consultation aurait dû avoir lieu il y a trop longtemps et qu’il est trop tard, il ne s’agit plus d’obligation de consulter, mais d’indemniser.

Citation

Rappelons que l’obligation de consulter prend naissance lorsque (1) la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence possible d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, (2) qu’elle envisage une mesure ou une décision et (3) que cette mesure ou cette décision est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la revendication autochtone ou le droit ancestral. Il faut donc établir un lien de causalité entre la mesure projetée par la Couronne et l’effet préjudiciable possible sur une revendication autochtone ou un droit ancestral (para. 51 du jugement).

Question

La British Columbia Utilities Commission avait-elle compétence pour se prononcer sur la consultation? Si oui, le refus de la Commission de redéfinir le cadre de l’audience pour que la question de consultation soit abordée devrait-il être annulé?

Décision

La Commission a le pouvoir de se prononcer sur la consultation. Elle a eu raison de conclure que le CAÉ de 2007 n’a pas d’effets préjudiciables sur les revendications et les droits des Premières nations. Elle n’avait donc pas à tenir une audience permettant la présentation d’observations sur la question de la consultation (jugement unanime).

Parties

Entre: Rio Tinto Alcan Inc. et British Columbia Hydro and Power Authority

Et : Conseil tribal Carrier Sekani

Intervenants : le Canada, l’Ontario, la Colombie-Britannique, l’Alberta, British Columbia Utilities Commission, Première nation crie Mikisew, Première nation de Moosomin, Nunavut Tunngavik Incorporated, Conseil tribal de la nation Nlaka’pamux, Alliance des nations de l’Okanagan, Bande indienne d’Upper Nicola, Division des Grands Lacs de la nation Secwepemc, Assemblée des Premières Nations, Première nation Standing Buffalo Dakota, Sommet des Premières nations, Première nation Duncan’s, Première nation de Horse Lake, Independent Power Producers Association of British Columbia, Enbridge Pipelines Inc. et TransCanada Keystone Pipeline GP Ltd.

Faits

Dans les années 1950, avec l’accord du gouvernement de la Colombie-Britannique, Alcan a construit un barrage sur la rivière Nechako pour produire l’électricité nécessaire à une aluminerie. Pour ce faire, la rivière a été détournée, affectant ainsi le débit de l’eau et les stocks de poissons.

Les Premières Nations du Conseil tribal Carrier Sekani (CTCS), non consultées au préalable, ont été touchées par la baisse de ces stocks auxquels ils s’approvisionnaient. Elles revendiquent aujourd’hui les terres de la vallée de Nechako ainsi que le droit de pêcher dans la rivière.

En 1987, Rio Tinto et le gouvernement ont accepté de prévoir des lâchers d’eau afin de régulariser le débit d’eau et ainsi préserver les stocks de poisson. Depuis 1961, les surplus d’électricité furent vendus à la société d’État BC Hydro. Lors de la conclusion du plus récent contrat d’achat d’électricité (CAÉ), en 2007, les Premières nations du CTCS firent valoir que le contrat concernait une centrale qui est sur leurs terres ancestrales et affecte leurs stocks de poissons.

Arguments

Rio Tinto Alcan Inc. et BC Hydro : La loi constitutive de la Commission lui donne le mandat d’examiner la question de la consultation et, de ce fait, il est impossible de conclure à l’existence d’une obligation de consulter.

Conseil tribal Carrier Sekani : Comme le CAÉ fait partie d’un projet qui continue d’avoir des répercussions sur leurs droits ancestraux, la Couronne a l’obligation de consulter. La Commission ne pouvait pas refuser de tenir une audience permettant la présentation d’observations sur la question de la consultation.

Décisions des tribunaux inférieurs

La British Columbia Utilities Commission : Rejette la demande du CTCS, car le CAÉ de 2007 ne crée pas de nouveaux effets préjudiciables aux intérêts des Premières Nations. Comme l’obligation de consulter n’a pas pris naissance, il n’y a pas lieu d’inclure dans le cadre de l’audience la consultation des Premières Nations.

La Cour d’appel de la Colombie-Britannique : La Commission a la compétence d’examiner la question de la consultation, et elle a rejeté prématurément la demande de révision. L’honneur de la Couronne l’oblige à trancher relativement à l’obligation de consulter, et elle aurait dû accepter la tenue d’une audience sur la question.

Motifs

Jury

Binnie, LeBel, McLachlin, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein, Cromwell

Raison

Pouvoir de la Commission

La Couronne a délégué une partie de son obligation de consulter à la Commission. La loi constitutive de celle-ci lui permet donc de déterminer si les peuples autochtones touchés ont été convenablement consultés. Elle n’a toutefois pas le pouvoir de mener la consultation s’il y a lieu d’en tenir une.

 Conditions de l’obligation de consulter

L’obligation de consulter découle du principe d’honneur de la Couronne. Elle vise la protection des droits ancestraux ainsi que la conciliation entre les intérêts autochtones et ceux de la Couronne.

L’obligation de consulter prend naissance s’il y a (1) une connaissance réelle ou imputée de l’existence d’une revendication autochtone ou d’un droit ancestral, (2) que la Couronne envisage une certaine mesure qui (3) a possiblement un effet préjudiciable sur cette revendication ou ce droit.

Les revendications des Premières Nations du CTCS sont connues, et le CAÉ 2007 est en voie d’être signé par une société d’État. Le contrat concerne une centrale hydro-électrique qui continue d’avoir des effets négatifs sur les stocks de poissons. L’effet préjudiciable doit être causé par une décision actuelle du gouvernement. Une atteinte antérieure et continue déclenche l’obligation de consulter seulement si elle crée un nouvel effet défavorable.

L’impact physique sur la ressource n’est pas le résultat du nouveau contrat prévu par le gouvernement, mais celui du projet hydroélectrique global. L’obligation de consulter n’est pas déclenchée par des effets négatifs anciens et généraux. Le contrat n’entrainera pas non plus de changement organisationnel pouvant avoir un impact sur l’exploitation future de la ressource. En effet, aucune modification dans l’organisation ne risque d’empêcher la Couronne d’agir honorablement envers les intérêts autochtones.

Impact

L’obligation de consultation n’est pas le moyen approprié pour réparer les fautes passées du gouvernement. Le but est plutôt de conserver et protéger un droit potentiel. Il doit y avoir un lien entre l’action gouvernementale prévue et les nouvelles conséquences négatives sur les droits autochtones. Si la ressource a déjà été atteinte sans consultation, on doit alors demander d’être compensé ou indemnisé. Le processus est différent et n’oblige pas la consultation.

L’atteinte aux droits n’est pas que physique, elle peut être organisationnelle. Une atteinte à une ressource protégée par un droit ancestral est un bon exemple d’effet préjudiciable, mais un changement politique ou organisationnel peut aussi être considéré comme tel.

Les sociétés d’État représentent la Couronne et doivent donc respecter l’obligation de consultation. Malheureusement, la Cour ne spécifie pas quelles entités étatiques précisément sont soumises à cette obligation.

Il a été reconnu dans Haïda qu’un tribunal administratif pourrait avoir à remplir cette l’obligation de consultation. Rio Tinto Alcan vient confirmer le pouvoir de délégation et la portée de ce pouvoir. Les tribunaux peuvent déterminer s’il y a lieu de consulter, mais ils n’ont pas le pouvoir de remplir l’obligation du gouvernement et consulter eux-mêmes.

Voir Aussi

Nation haïda c. ColombieBritannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511


Sources

Carver, Peter. 2012. Comparing Aboriginal and Other Duties to Consult in Canadian Law. Alberta Law Review 49 (4): 855-891.

Lavoie, Natasha et Leboeuf, Sylvain. 2011. Les arrêts Rio Tinto Alcan Inc. et Little Salmon/Carmacks : précisions sur le principe de l’honneur de la Couronne et sur l’obligation de consulter les communautés autochtones. XIXe conference des jurists de l’état. En ligne: http://www.conferencedesjuristes.gouv.qc.ca/textes-de-conferences/pdf/2011/ . Consulté le 26 juin 2013.

Sanderson, Chris W., Keith B. Bergner and Michelle S. Jones. 2012. “The Crown’s Duty to Consult Aboriginal Peoples: Towards an Understanding of the Source, Purpose, and Limits of the Duty.” Alberta Law Review 49 (4): 821-853.

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