Cour suprême du Canada – [1996] 2 R.C.S 507
L’arrêt Van der Peet a été rendu le même jour que les décisions Gladstone et Smokehouse. Il vient compléter l’arrêt Sparrow qui, rendu quelques années plus tôt, précisait la teneur de la protection des droits ancestraux prévue à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Dans Van der Peet, la Cour suprême explique comment il faut s’y prendre pour définir des droits ancestraux reconnus et confirmés.
[P]our constituer un droit ancestral, une activité doit être un élément d’une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone qui revendique le droit en question. (para. 46 du jugement)
Les Sto:lo possèdent-ils un droit ancestral de vendre du poisson qu’ils ont pris protégé par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?
Les Sto:lo ne possèdent pas le droit ancestral d’échanger du poisson contre de l’argent, puisque cette activité ne faisait pas partie intégrante de leur culture distinctive avant le contact avec les Européens (7 juges contre 2).
Entre : Dorothy Marie Van der Peet
Et : la Couronne du Canada
Intervenants : Le Québec, le Fisheries Council of British Columbia, la British Columbia Fisheries Survival Coalition et la British Columbia Wildlife Federation, le First Nations Summit, Delgamuukw et autres, Howard Pamajewon, Roger Jones, Arnold Gardner, Jack Pitchenese et Allan Gardner
En 1987, Dorothy Marie Van der Peet, membre de la nation Sto:lo de Colombie-Britannique, vend 10 saumons pris par son conjoint de fait en vertu d’un permis de pêche de subsistance des Indiens.
Elle est accusée d’avoir vendu du poisson contrairement au Règlement de pêche général de la Colombie-Britannique qui interdit de vendre ou d’échanger du poisson pris en vertu d’un tel permis.
Van der Peet : Les restrictions imposées par le règlement provincial portent atteinte à son droit ancestral de vendre du poisson, et sont en conséquence invalides parce qu’elles violent le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
La Couronne du Canada : Le droit ancestral de pêcher ne comprend pas le droit de vendre du poisson.
Cour provinciale de Colombie-Britannique (1991) : Le droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires et rituelles n’inclut pas le droit de vendre le poisson ainsi pris.
Cour suprême de la Colombie-Britannique (1991) : Le juge de première instance a commis une erreur dans son appréciation des pratiques de la bande concernant l’échange commercial du poisson. Un nouveau procès est ordonné afin que le juge puisse appliquer les principes appropriés.
Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1993) : La déclaration de culpabilité est rétablie.
Lamer, La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci, Major
L’article 35 reconnaît et confirme que les Autochtones vivaient sur le territoire en sociétés distinctives possédant leurs propres coutumes, pratiques et traditions. Les droits ancestraux ont toujours été reconnus par la common law, mais l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982 requiert une nouvelle approche. Les droits ancestraux ne peuvent plus être éteints.
Culture distinctive et importance fondamentale
Ils peuvent, toutefois, être réglementés ou violés en conformité avec le critère de justification énoncé dans l’arrêt Sparrow. Dans cet esprit, une activité peut être reconnue comme un droit ancestral lorsqu’elle constitue un « élément d’une coutume, pratique ou tradition faisant partie intégrante de la culture distinctive du groupe autochtone » qui revendique ce droit (para. 46 de la décision). Les juges doivent tenir compte de la nature particulière des droits ancestraux lors de leur appréciation des droits accessoires qui y sont rattachés.
La pratique doit être d’une importance fondamentale pour le groupe pour faire partie intégrante d’une culture distinctive. Une pratique est distinctive lorsqu’elle caractérise les Premières nations en cause. Il faut examiner la pratique, la coutume ou la tradition qui existait lorsque le groupe est entré en contact avec les Européens. Les pratiques accessoires à d’autres pratiques d’importance fondamentale ne peuvent être considérées comme des droits ancestraux du simple fait qu’elles se greffent sur des pratiques faisant partie intégrante d’une culture.
Continuité
Le tribunal doit déterminer si la preuve démontre la continuité avec les pratiques, coutumes et traditions qui existaient avant le contact avec la société européenne. Le concept de continuité n’exige pas la preuve d’une continuité parfaite entre les pratiques, coutumes et traditions actuelles et celles qui existaient avant le contact avec les Européens.
« Qualité » de la preuve
Le juge en chef Lamer affirme au passage que les tribunaux doivent se garder d’accorder un faible poids à la preuve présentée par les demandeurs autochtones simplement parce que cette preuve ne respecte pas de façon précise les normes qui seraient appliquées dans d’autres contextes. Cela vise principalement la preuve orale.
Dans cette affaire, l’échange de poisson contre de l’argent ou d’autres biens ne faisait pas partie intégrante de la culture distinctive de la nation Sto:lo avant le contact avec les Européens, car il n’existait pas d’activité commerciale organisée à cette époque. Même si les Sto:lo commerçaient avec la Compagnie de la Baie d’Hudson après le contact avec les Européens, cela ne prouve pas qu’une activité semblable existait auparavant.
L’arrêt Van Der Peet fait partie d’une trilogie de trois décisions rendues le 21 août 1996 sur les activités de pêche commerciale des autochtones. Il constitue possiblement la décision la plus importante à ce jour concernant la reconnaissance des droits ancestraux.
L’arrêt Van der Peet marque un changement en ce qui a trait à l’interprétation large des droits protégés par l’article 35 : c’est un changement vers une définition plus étroite du droit ancestral, devenu le fondement de la stratégie du gouvernement dans la cause Marshall (une définition stricte des droits issus de traités) (Desrosiers, 2000). L’arrêt confirme aussi que l’analyse des droits ancestraux doit se faire cas par cas. Ainsi, les négociations pour la reconnaissance moderne des droits ancestraux des Autochtones se fait individuellement, dans des accords distincts.
L’approche de la Cour suprême, qui consiste à établir le caractère fondamental d’une pratique, a été critiquée par des groupes et des universitaires autochtones qui croient que des juges non autochtones sont incapables de comprendre pleinement leur culture puisqu’ils considèrent certaines de leurs pratiques peu importantes du simple fait qu’elles sont accessoires dans la société euro-canadienne (Barsh et Henderson, 1997: 1000).
Politiques gouvernementales
En 1998, le ministère des Pêches publie le document Une nouvelle orientation pour les pêches du saumon du Pacifique au Canada, qui contient des lignes directrices sur la conservation et à la récolte du poisson dans la région du Pacifique. D’autres politiques sont également adoptées pour préciser les objectifs énoncés dans la nouvelle orientation. Parmi elles, notons la Politique de répartition du saumon du Pacifique et la Politique de pêche sélective sur la côte canadienne du Pacifique, qui ont confirmé la primauté de l’objectif de conservation et l’importance des pratiques de récolte sélective comme stratégie à long terme afin atteindre cet objectif (Pêches et Océans Canada, 2009).
En 2003, le ministère annonce la mise en œuvre du Programme autochtone de gestion de ressources aquatiques et océaniques (PAGRAO) dans le but d’aider les groupes autochtones à acquérir les compétences nécessaires leur permettant de contribuer de manière plus efficace au processus de gestion des ressources aquatiques et océaniques. L’un des objectifs clés du PAGRAO est de permettre aux Autochtones de participer à des comités techniques et consultatifs dans les domaines relevant du mandat du ministère portant notamment sur la gestion des pêches et de l’habitat ainsi que la planification et la gestion des océans (Pêches et Océans Canada, 2003).
En 2004, le Pêches et Océans publie son Cadre stratégique de gestion des pêches sur la côte atlantique du Canada dans le but de mettre en place un cadre stratégique uniforme et cohérent pour la gestion des stocks de poisson de l’Est du Canada semblable à celui en vigueur sur la côte du Pacifique. Cela a été fait après un examen des politiques de pêche existantes, y compris des consultations menées auprès des provinces et des territoires, des parties autochtones concernées, de l’industrie de la pêche, et d’autres parties intéressées (Pêches et Océans Canada, 2004).
En 2012, le gouvernement conservateur de Stephen Harper adopte deux projets de loi « omnibus » (C-38 et C-45), projets de loi de plus de 400 pages qui modifient respectivement 44 et 70 lois fédérales. Ces changements modifient substantiellement le cadre juridique canadien sur les pêches et la protection des cours d’eau. Le projet de loi C-45, en particulier, retire la protection de plusieurs habitats naturels des poissons. Aucun de ces deux projets de loi ne reconnaît la pêche commerciale des Autochtones. Le mouvement Idle no More a en partie été déclencé par ces projets de loi.
Histoire orale et savoir traditionnel
En outre, l’arrêt précise que les règles de preuve doivent tenir compte de l’histoire orale des Autochtones lors de l’évaluation de leurs droits. Ainsi, le « savoir traditionnel » autochtone est implicitement reconnu par les tribunaux. La législation fédérale sur les espèces en péril et l’évaluation environnementale contient des dispositions concernant la prise en compte du savoir écologique traditionnel. Les auteurs soutiennent que le domaine de l’évaluation environnementale est celui qui est le plus sensible à cette question (Usher, 2000).
R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075
Arrêts rendus le même jour, complétant la « trilogie » :