R. c. Kapp

Cour suprême du Canada – [2008] 2 RCS 483


Colombie-Britannique Charte canadienne des droits et libertésDiscriminationDroits ancestraux
Sommaire

Dans cette affaire, la Cour suprême confirme que les mesures « préférentielles » à l’égard des Autochtones en matière de pêche (périodes exclusives, par exemple) sont valides et légales en droit canadien, et ne portent pas atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés.

Question

Les permis de pêche communautaires délivrés en vertu du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones sont-ils discriminatoires à l’égard des pêcheurs non autochtones?

Décision

Les permis de pêche réservés aux Autochtones ne sont pas discriminatoires et ne contreviennent pas à la Charte canadienne des droits et libertés (jugement unanime – un motif concordant).

Parties

Entre : John Michael Kapp et les autres

Et : la Couronne du Canada

Intervenants : l’Ontario, le Québec, la Saskatchewan, l’Alberta, Première nation Tsawwassen, Nation Haisla, bande indienne des Songhees, Première nation Malahat,  Première nation des T’Sou‑ke,  Première nation Snaw‑naw‑as (Nanoose) et bande indienne de Beecher Bay (collectivement appelées  Nations Te’mexw), Nation Heiltsuk, bande indienne des Musqueam, tribus Coolican, Sportfishing Defence Alliance, B.C. Seafood Alliance, Pacific Salmon Harvesters Society, Aboriginal Fishing Vessel Owners Association, United Fishermen and Allied Workers Union, Japanese Canadian Fishermens Association, Atlantic Fishing Industry Alliance, bande indienne Nee Tahi Buhn, Première nation Tseshaht et Assemblée des Premières Nations

Faits

En 1982, la Commission sur la politique des pêches du Pacifique a publié un rapport (Pour remonter le courant : Une nouvelle politique des pêches canadiennes du Pacifique) qui liait l’état désastreux du développement économique des peuples autochtones de la côte du Pacifique à l’interdiction de la pêche commerciale qui leur était imposée. Elle recommandait au gouvernement fédéral de négocier des accords de pêche avec ces communautés leur accordant des droits de pêche commerciaux.

Au début des années 1990, le ministère des Pêches et Océans Canada (MPO) entreprend des consultations avec ces communautés en vue d’élaborer un nouveau règlement sur les pêches. En 1992, il publie sa Stratégie relative aux pêches autochtones (SRAPA) afin de respecter les principes énoncés dans l’arrêt Sparrow et d’améliorer la part des communautés dans la gestion des pêches, tout en ayant un impact minimal sur les pêcheries non autochtones. Ce programme avait pour but de favoriser le développement économique des communautés autochtones en les rendant plus autonomes et moins dépendantes du gouvernement fédéral (MPO, 2008a). L’octroi de permis de pêche communautaire est l’élément clé de cette stratégie qui accorde des droits et des privilèges supplémentaires à des organisations autochtones conformément aux dispositions du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones.

En 1998, un permis de pêche communautaire est délivré aux bandes indiennes de Musqueam, Burrard et Tsawwassen. Il autorise certains de leurs membres à pêcher le saumon rouge de manière exclusive pendant une période de 24 heures à des fins alimentaires, sociales et rituelles, et à le vendre. La B.C. Fisheries Survival Coalition, composée d’environ 145 pêcheurs commerciaux non autochtones, a protesté en pêchant au cours de la période interdite, afin d’établir une cause type en vue d’obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, d’autres règlements connexes et de la SRAPA.

Arguments

Kapp et les autres : Les permis de pêche communautaires et la SRAPA dans son ensemble sont discriminatoires envers eux sur la base de leur race.

La Couronne du Canada : La Stratégie relative aux pêches autochtones visait à réglementer les pêches et à améliorer les conditions de vie d’un groupe défavorisé, dans ce cas les communautés autochtones. Il s’agit d’un programme de promotion sociale autorisé par la Charte.

Décisions des tribunaux inférieurs

Cour provinciale de la Colombie-Britannique (2003) : Le permis de pêche communautaire porte atteinte au droit à l’égalité de Kapp et des autres, ce qui ne peut pas être justifié en vertu de la Charte. Un arrêt des procédures contre les pêcheurs non autochtones est ordonné.

Cour suprême de la Colombie-Britannique (2004) : La SRAPA n’a pas un effet discriminatoire envers les pêcheurs non autochtones, parce qu’elle ne perpétue pas ou ne favorise pas l’opinion selon laquelle ceux-ci étaient moins capables ou moins dignes d’être reconnus ou valorisés en tant qu’êtres humains ou que membres de la société canadienne. Des condamnations sont inscrites contre Kapp et ses coaccusés.

Cour d’appel de la Colombie-Britannique (2006) : La condamnation est maintenue.

Motifs

Jury

McLachlin, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein

Raison

La condamnation est maintenue. Kapp et ses coaccusés ont été traités de manière distinctive en raison de leur race, mais les distinctions ne sont pas nécessairement discriminatoires lors qu’elles constituent des mesures d’action positive. C’est le cas lorsqu’un programme gouvernemental est mis en place afin d’aider des groupes défavorisés de la société canadienne à améliorer leur situation.

La Stratégie relative aux pêches autochtones, le permis de pêche communautaire et les règlements relatifs à leur application avaient pour but d’offrir des possibilités économiques aux communautés autochtones de manière à assurer leur autonomie à long terme. Cela découle du fait incontestable que les peuples autochtones sont socialement et économiquement défavorisés par rapport à leurs concitoyens canadiens, une situation couverte par la Charte.

Seuls les droits de nature constitutionnelle sont susceptibles de bénéficier de la protection de l’article 25 de la Charte, qui est en fait une disposition interprétative et qui va comme suit :

  1. Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — des peuples autochtones du Canada, notamment :

a) aux droits ou libertés reconnus par la proclamation royale du 7 octobre 1763;

b) aux droits ou libertés existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.

Bastarache : L’article 25 stipule que la Charte ne peut porter atteinte aux droits et libertés des peuples autochtones. Le système de permis de pêche communautaire contrevient prima facie au droit à l’égalité de Kapp et des autres pêcheurs non autochtones, puisqu’il accorde un avantage aux pêcheurs autochtones. Mais puisqu’il porte sur les droits de pêche ancestraux des autochtones, il est protégé par l’article 25.

Impact

En 1999, le vérificateur général du Canada a noté qu’un changement dans la gestion de la pêche au saumon sur la côte ouest était requis afin d’assurer la pérennité de la ressource. La cueillette de données de capture afin d’évaluer la quantité des stocks constitue la meilleure façon de planifier une nouvelle stratégie et d’identifier les priorités de conservation (Vérificateur général du Canada, 1999 : 17). Les données recueillies par les collectivités dans le cadre de la SRAPA ont été jugées insuffisantes en raison de l’absence de normes uniformes assurant la fiabilité des données.

Il a été recommandé au MPO d’évaluer les méthodes utilisées par les Premières Nations afin d’y apporter les ajustements nécessaires, en y intégrant notamment des guides et des normes de collecte de données, afin d’améliorer et d’élargir leur rôle dans ce domaine (Id. : 18). Le MPO reconnaît le problème et convient d’établir une nouvelle procédure de collecte de données tout en intégrant les premières nations dans le processus (Id. : 18). Dans cet esprit, le Programme autochtone de gestion des ressources aquatiques et océaniques mis en œuvre en 2002 a permis à des organismes autochtones d’embaucher des conseillers qualifiés capables de leur transmettre de l’expertise scientifique et technique dans le domaine de la gestion des pêches. Un budget annuel de 6 M$ a été réparti entre les Premières Nations de la région du Pacifique (MPO, 2009).

La SRAPA

La SRAPA est toujours en place pour les Premières Nations n’ayant pas encore réglé leurs revendications territoriales ou conclu une entente de gestion des pêches. Le MPO verse dans le cadre de la SRAPA 16 M $ annuellement à plus de 90 organisations autochtones. Les fonds doivent être utilisés pour la gestion de la pêche, la restauration de l’habitat, le repeuplement des poissons, la recherche dans ces domaines, le développement économique et la consultation avec les membres des communautés concernées. Les sommes sont distribuées au moyen de trois types d’accords.

Les accords relatifs aux bassins hydrographiques s’appuient sur une approche de collaboration pour la conservation, la protection et l’amélioration des pêches dans la rivière Skeena. Du financement complémentaire peut être accordé à des initiatives communautaires. Les ententes de pêche globales entre le MPO et diverses organisations autochtones sont quant à elles plus élaborées et détaillées (MPO, 2008b). Comme pour le permis de pêche communautaire, elles sont conclues à diverses conditions avec des organisations autochtones de la région du Pacifique. Elles visent parfois la capture d’une seule espèce, généralement le saumon sur la rivière Fraser ou des œufs sur varech sur la côte Nord du Pacifique. Des permis autorisant la récolte de plusieurs espèces, comme le saumon, le hareng et les crustacés dans les zones côtières du Nord et du Sud, sont également délivrés. Des permis supplémentaires sont également accordés à des organisations autochtones qui ont de la difficulté à récolter la quantité de poissons requis pour assurer leur subsistance à l’intérieur de leur zone principale de récolte. Des permis pour l’érection de séchoirs, de récolte à des fins cérémonielles ou temporaires pendant les négociations dans le cadre de la SRAPA peuvent également être délivrés (MPO, 2008c).

Conflits avec les droits des non-autochtones

L’arrêt Kapp a augmenté la protection des droits ancestraux lorsque ceux-ci sont en conflit avec les droits des non-autochtones. Tout d’abord, les nouveaux critères d’interprétation de la Charte énoncés cet arrêt permettent d’élaborer un nouveau cadre pour les programmes d’action positive du gouvernement. En mettant l’accent sur les caractéristiques et les circonstances particulières du groupe bénéficiaire, le programme a moins de chance d’être contesté à répétition devant les tribunaux (Kracier, 2009 : 158-160). Selon le constitutionnaliste Patrick Monahan, ce critère simplifie et clarifie les règles du droit à l’égalité pour le futur (Makin, 2009 : A8). D’autre part, la Cour a confirmé dans cet arrêt que la protection des droits ancestraux constituait la voie privilégiée afin d’assurer la réconciliation entre les peuples au Canada (Dalton, 2008).

En Colombie-Britannique, la question divise la population, qui pense que les pêcheurs autochtones ne devraient pas recevoir de traitement préférentiel dans le domaine de la pêche commerciale. On a ont fait valoir que les Premières Nations représentent 2,8 % de la population de la province, mais 40 % des pêcheurs commerciaux de saumon. Avec des stocks de poissons moins importants qu’auparavant sur ​​la côte du Pacifique, les autres pêcheurs croient qu’ils sont grandement désavantagés par l’ouverture de la saison de pêche un jour plus tard que les Autochtones qui détiennent des permis de pêche communautaires (Milke, 2008 : A8). La B.C. Fisheries Survival Coalition a même affirmé que la SRAPA constituait de la ségrégation (Fitzpatrick, 2008 : A10).

Voir Aussi

R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075


Sources

R. c. Kapp, 2003 BCPC 279

R. c. Kapp et al., 2004 BCSC 958

R. c. Kapp, 2006 BCCA 277

Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, SOR/93‑332

Dalton Jennifer E. 2008. Equality rights versus Aboriginal Reconciliation: An Assessment of R. v. Kapp., in The Court. En ligne. http://www.thecourt.ca/category/case-name/kapp-2008/. Consulté le 16 février 2010.

Pêches et océans Canada. 2008a. Pêches autochtones, dans Traités dans la région du Pacifique et Programmes des pêches autochtones. En ligne. http://www.pac.dfo-mpo.gc.ca/tapd/ab_fishg_f.htm   Consulté le 17 février 2010.

Pêches et océans Canada. 2008b. Accords dans le cadre de la SRAPA, dans Traités dans la région du Pacifique et Programmes des pêches autochtones. En ligne. http://www.pac.dfo-mpo.gc.ca/tapd/afs_agrmt_f.htm Ententes de pêche globales. Consulté le 17 février 2010.

Pêches et océans Canada. 2008c. Permis communautaires, dans Traités dans la région du Pacifique et Programmes des pêches autochtones. En ligne

http://www.pac.dfo-mpo.gc.ca/tapd/com_lic_f.htm Consulté le 17 février 2010.

Pêches et océans Canada. 2009. Programme autochtone de gestion des ressources aquatiques et océaniques (PAGRAO). En ligne. http://www.pac.dfo-mpo.gc.ca/tapd/aarom_f.htm. Consulté le 17 février 2010.

FitZpatrick Meagan. 2008. Native bands’ exclusive fishing rights upheld; Top Court Ruling, in The National Post, 28 juin : A10.

Kracier Sarah T., 2009. R. v. Kapp: Aboriginal Fishing, Andrews and Affirmative Action in the Supreme Court of Canada, in National Journal of Constitutional Law 25 : 153-160.

Makin Kirk. 2009. “Top court solved vexing problem, expert says”, in The Globe and Mail, April 18 avril : A8.

Milke Mark. 2008. “Our constitution’s illiberal approach to race”, in The Calgary Herald, 6 juillet : A8.

Bureau du vérificateur général. 1999. Le saumon du Pacifique : la durabilité des pêches. En ligne. http://www.oag-bvg.gc.ca/internet/docs/9920cf.pdf. Consulté le 16 février 2010.

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