Cour suprême du Canada – [1996] 1 R.C.S. 771
Cet arrêt reprend, résume et précise le cadre juridique entourant l’interprétation et l’application des droits issus des traités historiques.
La Cour insiste sur l’honneur de la Couronne dans ses transactions avec les Indiens, et réitère qu’il appartient à cette dernière de prouver, par une preuve absolue, qu’un droit ancestral ou issu de traité a été éteint par une intention claire et expresse du gouvernement.
… l’honneur de la Couronne est toujours en jeu lorsqu’elle transige avec les Indiens. Les traités et les dispositions législatives qui ont une incidence sur les droits ancestraux ou issus de traités doivent être interprétés de manière à préserver l’intégrité de la Couronne. Il faut toujours présumer que cette dernière entend respecter ses promesses. (para. 41 du jugement)
Le droit de chasse n’est pas éteint, mais il a été limité : seul le droit de chasser pour se nourrir est maintenant protégé. Ce droit peut être exercé sur les terres qui ne sont pas utilisées d’une façon visible et incompatible avec la chasse. (décision unanime – 2 juges pour des motifs différents).
Entre : Wayne Clarence Badger, Leroy Steven Kiyawasew et Ernest Clarence Ominayak
Et : la Couronne de l’Alberta
Intervenants : Le Canada, le Manitoba, la Saskatchewan, la Federation of Saskatchewan Indian Nations, le Lesser Slave Lake Indian Regional Council, le Treaty 7 Tribal Council, la Confederacy of Treaty Six First Nations, l’Assemblée des Premières Nations et l’Assembly of Manitoba Chiefs
En 1930, la Convention sur le transfert des ressources naturelles est adoptée. Elle prévoit que pour « assurer aux Indiens de la province la continuation de l’approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leurs support et subsistance, le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier et qui sont en vigueur de temps à autre dans la province, s’appliquent aux Indiens dans les limites de la province; toutefois, lesdits Indiens auront le droit que la province leur assure par les présentes de chasser et de prendre le gibier au piège et de pêcher le poisson, pour se nourrir en toute saison de l’année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès. »
Badger, Kiyawasew et Ominayak sont des Indiens cris visés par le Traité n°8. Ils chassaient pour se nourrir sur des terres privées cédées au Canada par ce traité.
Badger est accusé d’avoir tué un orignal en dehors de la saison de la chasse, contrairement au paragraphe 27(1) de la Wildlife Act. Il l’a abattu dans un petit bois où il n’y avait ni clôture ni écriteau, seulement une maison de ferme à environ un quart de mille.
Kiyawasew est accusé d’avoir chassé sans permis, contrairement au paragraphe 26(1) de la Wildlife Act. Il a tué l’orignal dans un champ couvert de neige où il n’y avait pas de clôture, seulement de vielles granges délabrées et quelques écriteaux.
Ominayak est lui aussi accusé d’avoir chassé sans permis. Il a abattu un original dans une savane non déboisée où il y avait n’y clôture, ni écriteau, ni bâtiment.
Badger et les autres : Ils avaient le droit de chasser, car ils l’ont fait sur des terres non occupées, conformément au Traité n°8 et à la Convention sur le transfert des ressources naturelles. Les dispositions de la Wildlife Act sont inconstitutionnelles, car elles enfreignent un de leurs droits issus de traités.
La Couronne de l’Alberta : La Convention a modifié le droit à la chasse prévue au Traité n°8. De ce fait, les chasseurs devaient respecter les limites territoriales de la chasse et les règlements imposés par le Wildlife Act.
La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta : Le droit de chasser pour sa subsistance garanti par le Traité n°8 ne s’applique pas, car les accusés chassaient sur des terres privées exclues de l’application du Traité. Ils sont donc coupables.
La Cour d’appel de l’Alberta : Confirme la décision antérieure.
La Forest, L’Heureux-Dubé, Gauthier, Cory, Iacobucci
Les fondements du droit de chasse
Le Traité n°8 prévoyait la cession de vastes territoires en échange desquels la Couronne s’engageait à garantir les droits de chasse des Autochtones. Les seules restrictions à ce droit de chasse sont des limites territoriales et des limites imposées par des règlements pour la conservation de la nature et des ressources.
Les traités sont des textes de nature sacrée qui engagent l’honneur de la Couronne. Toute incertitude doit donc être interprétée en faveur des Autochtones. De plus, toute atteinte, modification ou extinction d’un droit garanti par un traité doit être justifiée par la Couronne.
La Convention protégeait le droit de chasser pour se nourrir des Indiens. Les droits issus de traités, y compris le droit de chasser pour se nourrir, ne sont pas modifiés et sont en vigueur tant qu’ils soient compatibles avec cette Convention, ne sont pas modifiés.
Les terres privées
Le Traité n°8 indique que les Autochtones peuvent chasser sur toutes les terres sauf celles qui sont requises ou prises par la Couronne. La Convention répète que les Autochtones peuvent chasser sur les terres inoccupées de la Couronne auxquelles ils peuvent avoir accès. Elle n’a donc pas modifié ce qui a été prévu par le Traité.
Lors de la signature du Traité, les Autochtones n’ont pas saisi l’ampleur du concept de terres cédées, mais ont compris qu’ils pourraient chasser en tout temps sur les terres inoccupées ou abandonnées. Le critère à considérer est donc celui de l’utilisation visible et incompatible à la chasse. Une utilisation concrète d’une terre nécessite la construction de bâtiment, ou de clôture, l’élevage d’animaux ou la culture d’aliments.
Badger chassait sur une terre où il y avait une maison de ferme qui ne paraissait pas abandonnée. Kiyawasew a abattu un orignal dans un champ où il y avait des granges délabrées et des écriteaux. Dans les deux cas, les terres étaient visiblement utilisées. Ils peuvent donc être accusés en vertu de la Wildlife Act.
Ominayak chassait quant à lui sur une terre qui n’était pas visiblement utilisée et qui n’était pas incompatible avec la chasse. Dans son cas seulement il est important de regarder si la Wildlife Act peut limiter son droit de chasse.
Wildlife Act
À première vue, la délivrance de permis règlementée la Wildlife Act porte atteinte au droit de chasser. En effet, le nombre limité de permis ainsi que les frais imposés par ceux-ci sont une atteinte au droit de Ominayak de chasser pour sa subsistance.
Le droit de la chasse de subsistance est issu d’un traité avec la Couronne et celle-ci peut porter atteinte à l’exercice de ce droit seulement si elle le justifie convenablement. Dans ce cas-ci, le gouvernement n’a pas eu l’occasion d’expliquer les raisons de l’atteinte. La Cour ordonne donc la tenue d’un nouveau procès.
Sopinka, Lamer – concordants
La Convention ne modifie pas le Traité n°8, elle unifie le droit de chasse. Le Traité n’a plus d’effet légal, car il a été remplacé. La Convention équilibre ce droit et le pouvoir des provinces de faire des lois concernant la conservation des ressources.
Le jugement réitère l’importance de la coexistence sur les terres de la Couronnes (Isaac, 2004).
Toutefois, la Cour se sert de l’arrêt Sparrow pour expliquer pourquoi la Couronne peut modifier unilatéralement les droits issus de traités. Bien que les traités soient le résultat du consensus de deux parties, la Couronne se réserve le droit de changer ou modifier ce qui y est dit sans leur consentement. L’arrêt Sparrow vient donc à la fois limiter ce pouvoir unilatéral mais aussi le justifier (Bell, 1997).
Enfin, ce jugement est un pas de plus pour la reconnaissance de la tradition orale chez les Autochtones. En effet, lors de la recherche de l’intention commune du Traité, les juges accordent une grande valeur à leur histoire orale (Leclair, 2013). Cela permettra, dans des jugements futurs, d’interpréter les droits issus de traités en harmonie avec la culture autochtone (Bell, 1997).
R. c. Horseman, [1990] 1 R.C.S. 901
R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075
Bell, Catherine. « R. v. Badger: One Step Forward and Two Steps Back. » Constitutional Forum. 8 (1996): 21.
Isaac Thomas. 2004. Aboriginal Law : commentary, cases and materials, 3rd ed. Saskatoon : Purich Pub.
Leclair, Jean. 2013. Droit des autochtones, Université de Montréal.