Procureur général du Canada c. Giroux

Cour suprême du Canada –[1916] 30 D.L.R. 123


Québec Loi sur les IndiensPropriétéTerres réservées pour les Indiens
Sommaire

Cette affaire confirme qu’un Indien peut acheter un terrain à titre personnel, même un terrain qui faisait autrefois partie d’une terre de réserve. Elle confirme le devoir de fiduciaire de la Couronne, puisque cette dernière doit gérer les affaires des Indiens dans leur meilleur intérêt et vendre les terres.

Question

Un Indien peut-il acheter de la Couronne des terres auparavant réservées pour les Indiens?

Décision

Oui. Il n’est pas interdit de vendre d’anciennes terres indiennes à un Indien (décision unanime, pour différents motifs).

Parties

Entre : le  Canada

Et : Pierre Giroux

Faits

En 1851, une loi est adoptée par l’Assemblée législative de la province du Bas-Canada. Elle autorise la création de réserves indiennes sous la direction du Commissaire des terres des Indiens pour le Bas-Canada (Henderson, 1980 : 180). En 1853, un décret prévoyant la mise de côté de terres au profit des Montagnais du Lac-Saint-Jean, aujourd’hui connu comme les Innus de Mashteuiatsh, est adopté. Les terres de réserve sont dévolues au Commissaire conformément aux dispositions de la loi adoptée en 1851.

En 1869, les Montagnais du Lac-Saint-Jean cèdent une partie de leur réserve à la Couronne afin que les terres soient vendues à leur profit. En 1873, Giroux achète la moitié du lot n° 3 de l’ancienne réserve. En 1878, l’autre moitié du lot n° 3 est vendue à Philippe, un membre de la bande des Montagnais du Lac St-Jean.

En 1889, la bande de terre de Philippe est saisie par le shérif du comté à la suite d’une décision judiciaire rendue contre lui. Giroux achète cette moitié de lot aux enchères. La Couronne s’oppose à la vente en alléguant qu’elle était toujours propriétaire des terres en question.

Arguments

Le Canada : Même si la vente consentie à Philippe est jugée valide, elle a eu pour effet de transférer la propriété à la Couronne, et le demi-lot faisait de nouveau partie de la réserve. Par conséquent, à titre de terre indienne, le lot ne peut faire l’objet de taxation ou de saisie.

Pierre Giroux : La loi n’interdisait pas la vente de terres indiennes déjà cédées à des Indiens. La vente à Philippe était valide, et par conséquent il était propriétaire légitime de la moitié du lot n° 3 au moment de la vente aux enchères.

Décisions des tribunaux inférieurs

Cour supérieure du Québec, district of Chicoutimi (1914) : La demande est rejetée.

Cour du Banc du Roi (1915) : La décision du tribunal de première instance est confirmée. Le juge dissident est d’accord avec l’argument soulevé par le procureur général du Canada.

Motifs

Jury

Fitzpatrick, Idington, Duff, Anglin, Brodeur

Raison

La Cour suprême rejette l’argument du procureur général du Canada.

Fitzpatrick : Les arguments du procureur général sont fallacieux. Ils laisseraient entendre que le droit d’un acheteur d’acquérir un lot pourrait être fondé uniquement sur sa race. Dans le même ordre d’idées, Philippe, après avoir payé le même montant que les autres acheteurs, aurait uniquement eu droit à un certificat d’occupation, désigné alors sous l’appellation de titre d’occupation, au lieu de la pleine propriété. Il n’est pas interdit de vendre d’anciennes terres indiennes à un Indien, même si cette situation était exceptionnelle à l’époque. De plus, l’article 64 de la Loi sur les Indiens reconnaît que les Indiens ont la capacité de posséder des biens immobiliers.

Duff : La Loi sur les Indiens exempte les propriétés détenues par un Indien de taxation et de saisie uniquement lorsqu’elles sont situées dans une réserve. La Loi n’étend d’aucune façon cette exemption à la propriété d’un Indien située à l’extérieur de la réserve. Anglin se range du côté de Duff. L’intérêt d’une bande dans ses terres de réserve est une « propriété bénéficiaire », puisque c’est la Couronne qui exerce les droits fonciers, mais qu’elle doit le faire conformément à son obligation de fiduciaire envers les Autochtones. Cet intérêt demeure entre les mains de la Couronne tant que la bande concernée continue d’exister, et ce même après la cession de leurs terres à la Couronne en fiducie.

Brodeur : En raison de l’obligation de fiduciaire de la Couronne envers les Montagnais de la bande du Lac-Saint-Jean, il était de son devoir de vendre les terres cédées aux premiers acheteurs qui se sont manifestés dans l’intérêt supérieur de la bande. Philippe voulait acheter un demi-lot, et rien dans la Loi sur les Indiens n’interdisait à un membre de la bande de le faire. Le titre de Giroux sur le demi-lot en question est valide.

Idington a rédigé une autre opinion concordante.

Impact

Cette décision a contribué à définir plus précisément la notion de titre ancestral en confirmant l’existence d’un intérêt bénéficiaire en faveur d’une communauté autochtone, même après la cession de ses terres traditionnelles à la Couronne (Burrows 1996 : 635-636).

Cet intérêt indien peut servir de fondement à un droit de propriété plus solide pour les Autochtones. Dans certains cas, les membres de la bande peuvent vraiment posséder une partie de leur réserve d’origine (Brun, 1985, 417 et 426). Cette approche plus rationnelle concernant la cession de terres indiennes a par la suite été rejetée dans l’affaire Star Chrome (Henderson, 1980 : 180-181).

Voir Aussi

Attorney-General for Quebec v. Attorney-General for Canada Re Indian Lands, [1921] 1 A.C. 401

Cardinal c. Procureur général de l’Alberta, [1974] R.C.S. 695

Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335


Sources

Brun Henri. 1985. « Possession et la réglementation des droits miniers, forestiers et de réversion dans les réserves indiennes au Québec », dans McGill Law Journal 30 : 415-457.

Burrows John. 1996. « With of Without You: First Nation in Law (in Canada) », dans McGill Law Journal 43 : 629-665.

Henderson William B. 1980. « Canada’s Indian Reserves: The Usufruct in our Constitution », dans Ottawa Law Review 12: 167-194.

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