Procureur général du Canada c. Canard

Cour suprême du Canada – [1976] 1 R.C.S. 170


Manitoba DiscriminationLoi sur les IndiensSuccession
Sommaire

Cette affaire suit Lavell et Drybones en matière de discrimination causée par la Loi sur les Indiens. Elle reprend le raisonnement de Lavell selon lequel le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui confère au gouvernement fédéral la compétence sur les Indiens, permet un traitement différencié entre ces derniers et le reste de la population et permet au fédéral de légiférer en ce qui les concerne dans des matières de compétence générale provinciale.

Ici, la Cour juge que l’application de la Loi sur les Indiens relève d’un pouvoir discrétionnaire du ministre et qu’elle permet qu’on l’interprète de façon à ne faire aucune différence entre les Indiens et les autres Canadiens. Elle confirme la compétence de la Cour fédérale pour réviser de telles décisions et appliquer les dispositions en cause.

Question

La succession de M. Canard est-elle assujettie aux dispositions de la Loi sur les Indiens, et les articles 42, 43 et 44 de la Loi contreviennent-ils à la Déclaration canadienne des droits?

Décision

La succession de M. Canard est assujettie à la Loi sur les Indiens, qui est constitutionnelle et qui ne contrevient pas à la Déclaration canadienne des droits (5 juges contre 2).

Parties

Entre : le Canada et William Barber Rees

Et : Flora Canard (veuve de feu Alexander Canard)

Intervenants : La Fraternité nationale des Indiens et la Fraternité des Indiens du Manitoba

Faits

Au cours des étés 1967 et 1968, Alexander Canard, un membre de la Nation Sagkeeng, a travaillé durant plusieurs semaines dans une ferme de St‑Andrews, au Manitoba. Pendant ces semaines, M. Canard et sa famille résidaient dans une dépendance de la ferme. À la fin de la période d’emploi, la famille retournait vivre dans la réserve de Fort Alexander no 3 au Manitoba, son lieu de résidence depuis 1964.

En 1969, la famille Canard revient sur la ferme où M. Canard avait recommencé à travailler le 4 juillet. Alexander Canard décède sans testament deux jours plus tard dans un accident de la circulation. En décembre, William Barber, surintendant du district indien de Clandeboye Fisher River, lieu de résidence du défunt, est nommé administrateur de la succession Canard conformément aux articles 42 et 43 de la Loi sur les Indiens, qui prévoient que l’administrateur de la succession d’un Indien décédé est nommé par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien.

Le 1er mars 1970, Barber intente une action en dommages-intérêts contre trois personnes relativement à l’accident ayant causé la mort de M. Canard. Le 18 mars, la Cour de vérification du district judiciaire de l’est du Manitoba nomme l’épouse du défunt, Flora Canard, administratrice de la succession Canard. À titre d’administratrice, elle poursuit les trois mêmes personnes et une quatrième pour avoir causé l’accident du 6 juillet.

Mme Canard saisit la Cour du Banc de la Reine du Manitoba pour obtenir un jugement déclaratoire en soutenant que la Loi sur les Indiens ne régissait pas l’administration de la succession d’Indiens ne vivant pas dans une réserve, et que les articles 42, 43 et 44 étaient nuls et non avenus parce que contraires à la Déclaration canadienne des droits et au principe de justice naturelle.

À la suite de la requête en jugement déclaratoire de Mme Canard, William Barber a présenté une demande reconventionnelle s’opposant à la nomination de Mme Canard à titre d’administratrice de la succession du défunt, et demandant que cette nomination soit déclarée nulle et non avenue.

Arguments

Le Canada : Les dispositions de la Loi sur les Indiens ne contrevenaient pas à la Déclaration canadienne des droits parce que leur but était de protéger les Indiens.

Mme Canard : Les dispositions de la Loi sur les Indiens violent l’article 1 de la Déclaration canadienne des droits, car ils nient son droit d’administrer la succession de son défunt mari en se fondant sur la race. Elle n’est donc pas traitée de manière égale devant la loi puisque les non-Indiens peuvent être nommés administrateurs d’une succession alors que cela lui est interdit.

Décisions des tribunaux inférieurs

Cour du Banc de la Reine du Manitoba (1972) : À l’époque de son décès, M. Canard ne résidait pas ordinairement dans la réserve. Par conséquent, Mme Canard avait droit à ce que les articles 42 à 44 soient déclarés inapplicables à l’administration de la succession de son mari, et que la nomination de William Barber comme administrateur soit déclarée invalide.

Cour d’appel du Manitoba (1972) : Dans une décision unanime rendue par le juge Dickson (qui deviendra plus tard juge en chef de la Cour suprême du Canada), la Cour d’appel a déterminé que le concept de « résidence ordinaire » imposait un degré élevé de continuité. Par conséquent, Canard résidait ordinairement sur la réserve, malgré ses absences temporaires. En ce qui concerne la validité constitutionnelle des articles 42 et 43 de la Loi sur les Indiens, même si les dispositions relevaient de la propriété et des droits civils (une compétence provinciale en vertu du paragraphe 92(13) de la l’Acte de l’Amérique du Nord britannique), le Parlement pouvait adopter des lois dans le cadre de ses domaines de compétence, comme les Indiens, ayant des effets secondaires sur des questions de compétence provinciale. Toutefois, les articles de la Loi sur les Indiens en litige créaient une situation d’inégalité devant la loi, contrairement à la Déclaration canadienne des droits.

Motifs

Jury

Martland, Judson, Ritchie, Pigeon et Beetz

Raison

Le défunt « résidait ordinairement » dans la réserve au moment de son décès.

L’article pertinent de la Loi sur les Indiens est constitutionnel. Le paragraphe 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique crée une distinction fondée sur la race pour un groupe de personnes, et usurpe des pouvoirs législatifs qui seraient normalement de compétence provinciale en accordant un traitement particulier à ce groupe de personnes.

Les articles 42, 43 et 44 de la Loi sur les Indiens ne sont pas incompatibles avec la Déclaration canadienne des droits. Il ne s’agit pas d’une violation, puisque la création de forums distincts n’entraîne pas automatiquement une discrimination ou un traitement inégal. En fait, si la création d’un statut particulier pour les Indiens était considérée discriminatoire, le Parlement ne serait jamais en mesure de légiférer en vertu du paragraphe 91(24) de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique de 1867 qui lui accorde la compétence sur les Indiens et les terres réservées aux Indiens.

La Loi sur les Indiens « donne au Ministre le pouvoir de nommer n’importe qui, y compris l’intimée [Mme Canard]. En d’autres mots, si l’intimée a été victime, de discrimination raciale, cette discrimination est de nature administrative, elle n’est pas inhérente à la Loi sur les Indiens. La Loi sur les Indiens peut à cet égard s’interpréter et s’appliquer de manière que les Indiens soient traités de la même façon que leurs concitoyens canadiens. » (p. 201).

La nomination de Mme Canard comme administratrice par la Cour de vérification du district judiciaire de l’est du Manitoba est invalide. Le tribunal n’avait pas juridiction pour le faire, puisque cela est réservé exclusivement au ministre. La Cour précise par ailleurs que « les tribunaux du Manitoba ne pouvaient pas entendre un appel à l’encontre d’une décision du Ministre ni examiner celle-ci de quelque façon. » (p. 210).

Impact

Anciennement, il était entendu que l’administration des successions des Indiens relevait du gouvernement fédéral. La pratique habituelle comprenait la nomination d’un employé du ministère des Affaires indiennes par le ministre pour administrer les successions des membres des Premières nations.

À la suite de la décision Canard, le ministère met en place le Programme des successions des personnes décédées, dont l’objectif est de donner plus de contrôle aux membres des Premières nations concernant l’administration et la gestion des successions des personnes résidant ordinairement dans une réserve ou sur des terres du domaine public. Le ministère nomme un administrateur uniquement en dernier ressort, dans les cas où personne n’est légitimement autorisé à devenir administrateur de la succession, ou lorsque le défunt est décédé sans testament et sans aucun parent survivant (Affaires indiennes et du Nord Canada, 2008). Si le défunt ne résidait pas dans une réserve ou sur des terres du domaine public, la succession est administrée conformément aux lois de la province normalement applicables à un non-Indien dans la même situation. Il s’agit généralement les lois de la province de résidence du défunt (Evans et Willis, 2007).

Les politiques et procédures concernant l’administration de la succession d’un Autochtone varient en fonction de la situation, à savoir s’il existe un testament valide ou non. Quand il n’y a pas d’exécuteur testamentaire, chaque légataire est admissible à cette fonction. Après avoir reçu une notification de la part du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada, le légataire intéressé peut faire connaître son intérêt au ministère. Par la suite, le Ministère choisit parmi les candidats celui ou celle ayant le plus grand intérêt dans la succession afin de l’administrer. Le même processus est suivi lorsqu’il n’y a pas de testament. À la suite de la nomination d’un administrateur externe, le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada conserve un certain rôle qui lui permet de résoudre les problèmes pouvant survenir au cours de l’administration d’une succession. (Evans et Willis, 2007).

Voir Aussi

R. c. Drybones, [1970] R.C.S. 282

Procureur général du Canada c. Lavell, [1974] R.C.S. 1349


Sources

Affaires indiennes et du nord canada. 2008. Programme des successions des personnes décédées. En ligne. http://www.ainc-inac.gc.ca/br/es/dep/index-fra.asp. Consulté le 14 juillet 2009.

Evans Sherry et Susan A. Willis. 2007. Aboriginals Estate: Policies and Procedure of INAC, B.C. Region. En ligne. http://www.cle.bc.ca/Practice%20Points/ABOR/Aboriginal%20estates–Policies %20and%20procedures%20of%20INAC–ready%20for%20PDF.pdf. Consulté le 14 juillet 2009.

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