Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique

Cour suprême du Canada – [2004] 3 R.C.S. 550


Colombie-Britannique ConsultationÉvaluation environnementaleHonneur de la Couronne
Sommaire

Cette décision a été rendue la même journée que l’arrêt Haïda. C’est l’un des arrêts les plus importants en matière de consultation et d’accommodement des peuples autochtones du Canada.

La Cour suprême établit que la Couronne n’a pas le devoir de créer un processus de consultation indépendant pour les Autochtones, mais que celui-ci peut être intégré dans le cadre d’un processus d’évaluation environnementale

Question

La province s’est-elle acquittée de son obligation de consulter et d’accommoder la Première nation de Taku River?

Décision

La province s’est acquittée de son obligation de consulter et d’accommoder, puisqu’elle a eu la volonté de répondre aux préoccupations de la Première nation, et qu’elle a tenu compte de la gravité des effets potentiels du projet et de la solidité de la revendication (décision unanime).

Parties

Entre : la Couronne de la Colombie-Britannique (Norm Ringstad, en sa qualité de directeur d’évaluation de projet pour le Projet de la mine Tulsequah Chief, Sheila Wynn, en sa qualité de directrice administrative, Bureau des évaluations environnementales, le ministre de l’Environnement, des Terres et des Parcs, et le ministre de l’Énergie et des Mines et ministre responsable du Développement du Nord)

Et : Première nation Tlingit de Taku River et Melvin Jack, en son propre nom et au nom des membres de la Première nation Tlingit de Taku River, Redfern Resources Ltd., and Redcorp Ventures Ltd. Auparavant connu sous le nom de Redfern Resources Ltd.

Intervenants : le Canada, le Québec, l’Alberta, Business Council of British Columbia, British Columbia and Yukon Chamber of Mines, British Columbia Chamber of Commerce, British Columbia Wildlife Federation, Council of Forest Industries, Mining Association of British Columbia, Aggregate Producers Association of British Columbia, Première nation de Doig River, Sommet des Premières nations et Union of British Columbia Indian Chiefs

Faits

En 1994, Redfern Resources Ltd (une société minière) demande au gouvernement de la Colombie-Britannique l’autorisation de rouvrir une vieille mine (la mine Tulsequah Chief). À la même époque, la Première nation Tlingit de Taku River négociait un traité moderne avec la province et le gouvernement fédéral. Un processus d’évaluation environnementale, indépendant de la négociation du traité, a dû être instauré en vertu de l’Environmental Assessment Act. La Première nation Tlingit de Taku River a participé au processus et s’est opposée au projet de Redfern, qui souhaitait construire une route traversant une partie du territoire traditionnel sur lequel elle revendiquait un titre et des droits ancestraux.

En 1998, Redfern Resources Ltd obtient le certificat requis du gouvernement de la Colombie-Britannique.En réponse aux préoccupations de la Première nation Tlingit de Taku River, la province décide de financer un programme de surveillance de la faune pour évaluer les impacts environnementaux de la nouvelle route sur le territoire traditionnel.

La Première nation Tlingit de Taku River souhaitait également pouvoir approuver les demandes de permis et le contrôle de l’accès à la route par des tiers. Ce souhait est rejeté par la Commission d’évaluation environnementale, qui le renvoie au processus de négociation de traités. En 1999, la Première nation Tlingit de Taku River s’adresse à la Cour suprême de Colombie-Britannique au moyen d’une procédure de révision judiciaire fondée sur son titre et ses droits ancestraux.

Arguments

Première nation Tlingit de Taku River : L’obligation de consulter devait s’appliquer, puisqu’un processus de négociation de traités a été entrepris.

Couronne de la Colombie-Britannique : L’obligation de consulter s’applique uniquement lorsque le bien-fondé des droits a été établi. Elle a uniquement une « obligation de négocier honorablement », ce qu’elle a fait dans le cadre de la procédure d’évaluation environnementale.

Décisions des tribunaux inférieurs

Cour suprême de la Colombie-Britannique (1999) :Le gouvernementdoit tenir comptedes droitsancestrauxlorsque ses projetssont susceptiblesde porter atteinte àces droits.

Cour d’appel de la Colombie-Britannique (2002) : Le gouvernement provincial n’a pas respecté son obligation de consulter et d’accommoder la Première nation Tlingit de Taku River.

Motifs

Jury

McLachlin, Major, Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish

Raison

À la lumière de l’arrêt Haïda et conformément au principe de l’honneur de la Couronne, la province de la Colombie-Britannique avait l’obligation de consulter la Première nation Tlingit de Taku River. Cette obligation doit être interprétée de manière large et libérale, ce qui signifie qu’elle s’applique également à des décisions susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur des revendications de droits et de titres ancestraux dont le bien-fondé n’a pas encore été établi. Dans ce cas, la solidité de la revendication de la Première nation Tlingit de Taku River et la gravité des effets préjudiciables potentiels de la demande de Redfern Ressources sur le droit ou le titre obligeaient la province à consulter.

L’étendue de cette obligation dépend de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur des revendications de droits et de titres ancestraux. Dans cette affaire, les effets préjudiciables semblaient graves puisque le projet de route traversait une zone importante pour le développement économique de la Première nation. De plus, cette dernière possédait une revendication solide. Par conséquent, la Couronne devait aller au-delà de la phase de consultation, et avait l’obligation d’accommoder la Première nation Tlingit de Taku River.

La consultation menée par la Couronne dans le cadre du Environmental Assesment Act était suffisante, car elle a duré trois ans et demi, que Redfern Ressources avait embauché des experts, et que les deux parties ont échangé des informations et des études. La Première nation a ainsi eu la possibilité raisonnable de participer et d’exprimer ses préoccupations. Concernant l’obligation d’accommoder, il doit y avoir équilibre entre les intérêts de la Première nation et les intérêts opposés de la Couronne. Dans ce cas, la Première nation Tlingit de Taku River ne pouvait demander une suspension complète du projet jusqu’à ce qu’elle soit complètement satisfaite. En acceptant la création d’un comité pour étudier les impacts environnementaux liés à la construction de la route, la Couronne s’est acquittée de son obligation d’accommodement.

La demande de la Première nation doit être rejetée

Impact

L’arrêt Taku River a eu des répercussions directes sur l’évaluation environnementale du projet de la route et de la mine Tulsequah Chief menée par le gouvernement fédéral. Lorsque la décision a été rendue, le projet n’avait pas encore obtenu l’approbation du gouvernement fédéral dans le cadre du processus d’évaluation environnementale fédéral. L’Agence canadienne d’évaluation environnementale (ACEE) a alors demandé à Pêches et Océans Canada de procéder à une évaluation environnementale avant de donner un accord définitif au projet minier (ACEE, 2008).

Des juristes soutiennent que l’obligation d’accommoder impose des résultats concrets dans le cadre du processus de consultation mené par la Couronne, c’est-à-dire que le processus doit être utilisé comme un outil favorisant la réconciliation entre les Premières nations et l’État canadien (Potes, 2006 : 28).

À la suite de l’arrêt Taku, l’ACEE a adopté des principes provisoires visant à tenir compte du savoir traditionnel autochtone dans les évaluations menées aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale. Ces principes provisoires fournissent des orientations et des lignes directrices aux professionnels de l’évaluation environnementale concernant l’utilisation du savoir traditionnel autochtone dans leurs évaluations, la planification de projet et la gestion des ressources. Le document définit le savoir traditionnel autochtone comme étant les connaissances accumulées et transmises d’une génération à l’autre par un peuple autochtone dont l’existence est en rapport étroit avec la nature. Ce savoir représente la somme des expériences historiques et s’adapte aux changements sociaux économiques, environnementaux, spirituels et politiques. Les principes sont appliqués volontairement et ont pour but de fournir une orientation générale concernant la prise en compte du savoir traditionnel autochtone selon chacun des cas visés. Un cadre définitif et plus détaillé sera établi par l’Agence en collaboration avec le Comité consultatif autochtone (ACEE, 2009). De cette manière, le gouvernement canadien assure la participation des organisations autochtones concernées lors de l’élaboration des lois et des politiques qui les touchent.

L’Environmental Assessment Act de Colombie-Britannique contient une procédure de collecte d’informations et de consultation des Premières nations. Lorsque le gouvernement de la Colombie-Britannique prévoit exécuter un projet sur des terres traditionnelles, il doit consulter la Première Nation concernée et lui donner la chance de participer à l’évaluation environnementale du projet (Environmental Assessment Act, article 29.1). Le Bureau d’évaluation environnementale a également publié le Fairness and Service Code qui consacre une section aux relations avec les Premières nations. Il confirme l’obligation de consulter conformément aux critères de l’arrêt Haïda et prévoit du financement afin d’assurer la participation des communautés concernées au processus d’examen du Bureau d’évaluation environnementale (Bureau d’évaluation environnementale, 2009 : 12).

Voir Aussi

Nation haïda c. ColombieBritannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511

Première nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2005] 3 R.C.S. 388

Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, [2010] 2 R.C.S. 650


Sources

Environmental Assessment Act, S.B.C. 2002, c. 43, s. 29.1

 Kwikwetlem First Nation v. British Columbia (Utilities Commission), 2009 BCCA 68

Agence canadienne d’évaluation environnementale. 2008. Avis de lancement d’une évaluation environnementale : Projet de Tulsequah Chief – Voie d’accès de rechange pour barges à coussin d’air. En ligne. http://www.ceaa.gc.ca/050/details-eng.cfm?evaluation=44530&ForceNOC=Y. Consulté le 14 décembre 2009.

Agence canadienne d’évaluation environnementale. 2009. Tenir compte du savoir traditionnel autochtone dans les évaluations aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale – Principes provisoires. En ligne.

http://www.ceaa-acee.gc.ca/default.asp?lang=En&n=4A795E76-1. Consulté le 9 décembre 2009.

Environemental Assessment Office of British Columbia. 2009. Fairness and Service Code. Victoria : Gouvernement de la Colombie-Britannique. En ligne. http://www.eao.gov.bc.ca/pub/pdf/ EAO_FairnessAndServiceCode_Jan09.pdf. Consulté le 9 décembre 2009.

Potes Veronica. 2006. The Duty to Accommodate Aboriginal Peoples Rights : Substantive Consultation?, in Journal of Environmental Law and Practice 17 : 27-45.

St-Hilaire Maxime et Sophie Thériault. 2003. Les arrêts Taku River et Haida Nation devant la Cour suprême : des précisions imminentes concernant la mise en œuvre du droit qu’ont les autochtones d’être consultés?”, in Revue du Barreau 63 : 163-175.

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