Paulette et al. c. La Reine

Cour suprême du Canada - [1977] 2 R.C.S. 628


Territoires du Nord-Ouest Titre aborigène
Sommaire

La Cour suprême refuse de reconnaître que les Indiens peuvent présenter leur droit ancestral comme une mise en garde contre les terres de la Couronne non brevetées. La Cour ne ferme pas la porte à toutes futures revendications territoriales des chefs fondées sur un droit ancestral dans les Territoires du Nord-Ouest, mais déclare que l’enregistrement d’une mise en garde n’est pas la procédure appropriée pour le faire.

Question

Les terres de la Couronne situées dans les Territoires du Nord-Ouest non régies par des lettres patentes sont-elles assujetties à la Loi sur les titres de biens-fonds?

Décision

Le pourvoi doit être rejeté.

Parties

Entre: Paulette et al.

Et: La Reine

Faits

Avant 1887, le système d’enregistrement foncier en vigueur dans les Territoires du Nord-Ouest (à ce moment-là connu sous le nom de Terres de Rupert) était un registre dans lequel étaient inscrites toutes les terres des Territoires du Nord‑Ouest ayant été arpentées par la Couronne. En 1880, seules les terres des Territoires du Nord-Ouest ayant fait l’objet de lettres patentes pouvaient être enregistrées. À cette époque, le nouveau propriétaire était le seul récipiendaire du certificat de titre.

En 1887, le registre a été remplacé par un régime Torrens, ce qui signifie que lorsque la Couronne concédait un lopin de terre, les lettres patentes étaient transmises au registrateur du district où se situaient ces terres qui à son tour délivrait un certificat de titre au nouveau propriétaire.

En 1970, la Loi sur les titres de biens-fonds, la nouvelle incarnation du régime Torrens, a été promulguée, mais elle ne contenait aucune disposition indiquant que l’ensemble des terres des Territoires du Nord-Ouest étaient visées par cette nouvelle loi.

En 1973, seize chefs indiens des Territoires du Nord-Ouest représentant les bandes de la partie occidentale des Territoires ont présenté un avis d’opposition au registrateur des titres. Ils prétendaient posséder un intérêt fondé sur des droits ancestraux sur quelque 400 000 miles carrés de terres dans les Territoires du Nord-Ouest. Le registrateur, aux prises avec le double problème de l’intérêt des auteurs de la demande et de son obligation, le cas échéant, d’accepter l’opposition et de l’inscrire à son journal, a invoqué le paragraphe 154(1) de la Loi sur les titres de biens-fonds, et a référé la question à la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest afin qu’elle se prononce sur la validité de la demande des chefs sur le plan juridique.

Arguments

La Couronne a fait valoir que les seize chefs de bande ne possédaient pas l’intérêt suffisant pour présenter l’opposition conformément aux dispositions de la Loi sur les titres de biens-fonds. Il est possible de déposer une opposition uniquement lorsqu’aucun certificat de titre n’a été transmis au registrateur, mais délivré uniquement au propriétaire. L’opposition ne crée aucun droit sur les terres, mais consiste uniquement à faire connaître l’existence d’une revendication d’intérêt.

Les chefs de bande ont fait valoir que le libellé de la Loi sur les titres de biens‑fonds leur permettait d’utiliser un avis d’opposition afin de forcer le registrateur à enregistrer leurs revendications fondées sur des droits ancestraux sur les terres de la Couronne non régies par des lettres patentes

Décisions des tribunaux inférieurs

Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest (1973) : Le juge de première instance a statué que les chefs indiens possédaient l’intérêt suffisant pour déposer une objection portant sur des biens-fonds de la Couronne non régis par des lettres patentes en raison de leur intérêt prima facies fondé sur leurs droits ancestraux relativement aux biens-fonds visés.

Cour d’appel des Territoires du Nord-Ouest (1975) : La Cour a décidé qu’il n’était pas nécessaire de tirer des conclusions quant à la nature et à l’étendue des droits ancestraux revendiqués, mais qu’il fallait simplement décider si la Loi sur les titres de biens-fonds permettait de déposer une objection lorsqu’un intérêt foncier était revendiqué en vertu de cette Loi. L’appel a été accueilli.

Motifs

Jury

Laskin, Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré

Raison

Compte tenu de l’évolution historique de la Loi sur les titres de biens-fonds, la Cour a décidé à l’unanimité qu’il n’était pas possible de déposer une opposition portant sur des biens-fonds de la Couronne non régis par des lettres patentes en s’appuyant sur l’existence de droits ancestraux. Les dispositions de la Loi qui semblent accorder un tel droit visent plutôt des terres pour lesquelles des lettres patentes ont été délivrées avant la mise en place du système de titres fonciers dans les Territoires du Nord-Ouest en 1887, et qui n’avaient pas encore été harmonisées avec le nouveau système.

Par conséquent, l’article 54 vise des terres concédées par lettres patentes avant 1887, et permet à leurs titulaires de demander l’enregistrement de leurs titres en vertu de la Loi. Par la suite, le registrateur des titres de biens-fonds doit accorder au propriétaire un certificat de titre si aucune objection n’est enregistrée à l’encontre du titre, et s’il est convaincu de l’existence du titre du demandeur.

Le juge Laskin, qui a rédigé la décision de la Cour, a conclu que ces cas étaient visés par le paragraphe 134(2), qui prévoit l’inscription d’une d’opposition présentée « avant l’enregistrement d’un titre » selon les dispositions de la Loi. D’autre part, les articles 50 et 95 visent l’enregistrement « d’instruments », soit des hypothèques et des charges, à l’encontre de biens-fonds non régis par des lettres patentes. L’avis d’opposition n’est pas inclus dans la définition « d’instrument » prévue à l’article 2 de la Loi. Même si les articles 48 et 49 relatifs à des concessions de la Couronne accordées après le 1er janvier 1887 entrevoient la possibilité qu’une « charge ou un acte » vise un bien-fonds non régi antérieurement par des lettres patentes, ces articles ne parlent pas d’opposition.

De plus, le fait que les Land Titles Act de l’Alberta et de la Saskatchewan découlant de la législation fédérale ne permettaient pas de déposer de telles oppositions avant la concession de terres de la Couronne vient appuyer la décision concluant qu’il est impossible de déposer une opposition.

La Cour ne ferme pas la porte à toutes revendications territoriales futures des chefs fondées sur des droits ancestraux dans les Territoires du Nord-Ouest. Elle déclare simplement que l’enregistrement d’une opposition n’est pas la procédure appropriée pour le faire.

Impact

À la suite de l’arrêt Calder, le gouvernement fédéral a adopté une nouvelle politique de négociation et de règlement des revendications territoriales des autochtones. En 1973, Jean Chrétien, qui était alors ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, a élaboré la Politique des revendications globales qui s’appliquait aux groupes n’ayant pas encore conclu de traité avec la Couronne. Cette politique devait s’appliquer en Colombie-Britannique, au Québec, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon. Elle couvrait les négociations relatives aux titres ancestraux et à la propriété des ressources naturelles (Crane, Mainville et Mason, 2005, 48).

Depuis l’arrêt Paulette, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a conclu plusieurs accords avec les premières nations de son territoire concernant leurs revendications territoriales globales. Ces négociations se sont avérées compliquées en raison des nombreuses modifications apportées au processus au fil des années, et du regroupement dans certains cas de revendications conjointes présentées par les Premières Nations et les Métis. De plus, certaines parties des Territoires du Nord-Ouest sont régies par des traités historiques, dans ce cas, le Traité n° 8 et le Traité n° 11,  respectivement conclus en 1899 et en 1921 (Olthuis, Kleer Townshend et 2008: 113; AINC, 2009).

En 1984, les Inuvialuit de l’Arctique de l’Ouest ont été les premiers autochtones à conclure un accord global sur les revendications territoriales dans les Territoires du Nord-Ouest. La région désignée des Inuvialuit, qui englobe le delta du Mackenzie, la mer de Beaufort et le golfe d’Amundsen, couvre une superficie de 225 460 kilomètres carrés concédés aux Inuvialuit en échange de l’abrogation de leurs droits et titres ancestraux dans les Territoires du Nord‑Ouest et au Yukon. Toutefois, les droits de récolte des Inuvialuit dans ces territoires sont protégés par l’accord définitif. Ils ont également acquis le droit de participer à la gestion des ressources naturelles et reçu une indemnité de 152 millions de dollars (Crane, Mainville et Mason, 2005. 73-74).

En 1992, le Conseil tribal des Gwich’in a conclu un accord global sur les revendications territoriales avec le gouvernement des Territoires du Nord‑Ouest et son homologue fédéral. L’Entente sur la revendication territoriale globale des Gwich’in leur accorde un titre foncier sur 22 422 kilomètres carrés désignés sous l’appellation de région visée par le règlement des revendications territoriales des Gwich’in (Sa Majesté la Reine du chef du Canada et al, 1992 : 81). Sur ces terres, la Nation possède collectivement le droit de récolte sur toutes les espèces de la faune sauvage (id. : 44) et le droit de premier refus concernant l’attribution d’un permis de récolte commerciale à des non-membres (id. : 52). Elle participe également à la gestion de ces ressources (id. : 56), et à la réglementation des terres, de l’eau et de l’environnement (id. : 109). En ce qui a trait à l’autonomie gouvernementale, l’Entente sur la revendication territoriale globale des Gwich’in contient un engagement des gouvernements territorial et fédéral afin de poursuivre les négociations à ce sujet. (Id. : 16). Ces négociations ont commencé en 1995. L’Accord sur l’autonomie gouvernementale devant couvrir l’ensemble de la région du delta de Beaufort, les Gwich’in se sont joints aux Inuvialuit, une nation autochtone voisine, pour négocier. Une entente de principe a été conclue en 2003. Trois ans plus tard, les Gwich’in se sont retirés de l’entente de principe, et ont demandé de mener leurs propres négociations avec les deux gouvernements (Affaires autochtones et des Relations intergouvernementales, 2010a). En 2007, une entente sur le processus et le calendrier des négociations a été conclue afin de guider la poursuite des négociations entre les parties (Gwich’in et al., 2007).

En 1993, un autre accord global de revendication territoriale a été conclu avec les Dénés et les Métis du Sahtu qui ont ainsi obtenu la propriété de 41 437 kilomètres carrés de terres et une indemnité de plus de 130 millions de dollars devant être versée sur une période de quinze ans (Sa Majesté du chef du Canada et al, 1993 :. 24 et 82). Les Dénés et les Métis du Sahtu possèdent des droits de chasse, de pêche et de piégeage de toutes les espèces de la faune sauvage dans l’ensemble de la région visée par leur règlement de revendications territoriales (id. : 45). Ils participent également à la gestion des ressources naturelles, par l’entremise de l’Office des ressources renouvelables (id. : 57-64), des activités forestières (id. : 68-70) et de l’utilisation de l’eau (id. : 88). De plus, tous les projets de développement concernant la vallée du Mackenzie doivent être examinés par l’Office d’examen des répercussions environnementales auquel les Dénés et les Métis du Sahtu participent (Id. : 110). Pour ce qui est de l’autonomie gouvernementale, les parties ont conclu un accord-cadre ayant pour but de guider les négociations en cours (Id. : Annexe B‑7). En 1997, les Dénés et les Métis du Sahtu ont divisé la région visée par le règlement des revendications territoriales en trois districts, soit les districts de Deline, Norman Wells et Tulita, en prévision de futurs accords sur l’autonomie gouvernementale communautaires. Leur objectif est de fusionner l’actuel conseil de bande avec les municipalités voisines. Un accord de principe a été signé en 2003  pour le district de Deline, et la ratification de l’accord définitif devrait avoir lieu en 2010 (Affaires autochtones et Relations intergouvernementales, 2009). Dans le district de Norman Wells, les parties ont conclu un accord-cadre en 2007, et souhaitent conclure un accord définitif d’ici 2011 (Affaires autochtones et Relations intergouvernementales, 2009b). Pour ce qui est des Dénés et des Métis du Sahtu du district de Tulita, les négociations ont commencé en 2002. Un accord-cadre a été conclu en 2005, mais aucun accord de principe n’avait été conclu en 2010 (Affaires autochtones et Relations intergouvernementales, 2009c).

En 2003, un accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale a été conclu entre la Nation Tlicho et les gouvernements des Territoires du Nord-Ouest et du Canada. Cet accord donne à la Nation Tlicho la propriété de leurs terres traditionnelles, Mowhì Gogha De Nutlèè, situées dans les Territoires du Nord-Ouest, y compris les ressources du sous-sol et une part des redevances minières (Tlicho et al, 2003 : 1, 193-195 et 201). La Nation possède également des droits de récolte sur toutes les espèces de la faune sauvage (id. : 101-105) et des pouvoirs relatifs à la gestion de la forêt (id. : 122-124) et des plantes (Id. : 125-127) sur une superficie 39 000 kilomètres carrés, ainsi que le droit exclusif d’utiliser les cours d’eau situés sur leurs terres (Id. : 176-179). De plus, cet accord était le premier à reconnaître le droit à l’autonomie gouvernementale d’une nation autochtone dans les Territoires du Nord-Ouest. Le gouvernement tlicho, une administration régionale, possède des compétences concernant les citoyens, les collectivités et le territoire tlicho. Il peut adopter des lois sur la gestion des ressources et les droits de récolte, la culture et le patrimoine, la langue, le savoir traditionnel, la formation préalable à l’emploi, l’assistance sociale, le logement, les services à l’enfance et à la famille, l’éducation, les testaments et les successions, la célébration des mariages et l’administration de la justice (Id. : 50-54). Des gouvernements communautaires ont été établis dans chacune des quatre collectivités tlichos de Behchoko, Whati, Gameti et Wkeweeti pour remplacer la corporation municipale et l’entité similaire prévue par la Loi sur les Indiens (id. : 65-70).

Les négociations se poursuivent concernant la Première nation Acho, la Première nation Akaitcho, la Première nation Dehcho et les Métis des Territoires du Nord-Ouest (Affaires autochtones et Relations intergouvernementales, 2010b).

Voir Aussi

Delgamuukw c. Colombie Britannique, [1997] 3 S.C.R 1010


Sources

RE Paulette et al. and the Registrar of Land Titles, (1975), 63 D.L.R. (3d) 1.

Aboriginal Affairs and Intergovernmenal Relations. 2009a. Current Negotiations – Deline. En ligne. http://www.daair.gov.nt.ca/_live/pages/wpPages/Deline.aspx. Consulté le 14 juillet 2010.

Aboriginal Affairs and Intergovernmenal Relations. 2009b. Current Negotiations – Norman Wells. http://www.daair.gov.nt.ca/_live/pages/wpPages/NormanWells.aspx. Consulté le 14 juillet 2010.

Aboriginal Affairs and Intergovernmenal Relations. 2010a. Current Negotiations – Gwich’in. En ligne. http://www.daair.gov.nt.ca/_live/pages/wpPages/Gwichin.aspx. Consulté le 14 juillet 2010.

Aboriginal Affairs and Intergovernmenal Relations. 2010b. Current Negotiations. En ligne. http://www.daair.gov.nt.ca/_live/pages/wpPages/Gwichin.aspx. Consulté le 14 juillet 2010.

Aboriginal Affairs and Intergovernmental Relations. 2009c. Current Negotiations – Tulita. En ligne. http://www.daair.gov.nt.ca/_live/pages/wpPages/Tulita.aspx. Consulté le 14 juillet 2010.

Affaires indiennes et du nord canada. 2009. Traités historiques – Chronologie et cartes. En ligne. http://www.ainc-inac.gc.ca/al/hts/mp-fra.asp. Consulté le 13 juillet 2010.

Crane Brian A., Mainville Robert and Martin W. Mason. 2005. First Nations Governance Law. Markham : Lexis Nexis Butterworths.

Les Gwich’in, Sa Majesté la Reine du chef du Canada et le Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Entente sur le processus et le calendrier des négociations relatives à l’autonomie gouvernementale des Gwich’in. Signée le 23 mars 2007 à Inuvik, Territoires du Nord-Ouest.

Les Tlicho, le Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et le Gouvernement du Canada. Accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale. Signée le 25 août 2003 à Behchoko, Territoires du Nord-Ouest.

Olthuis John, Kleer Nancy et Roger Townshend. 2008. Aboriginal Law Handbook. Toronto : Carswell.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, le Gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et les Gwich’in. Entente sur la revendication territoriale globale des Gwich’in. Signée le 22 avril 1992 à Fort McPherson, Territoires du Nord-Ouest.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada, les Dénés de Colville Lake, Deline, Fort Good Hope et Fort Norman et les Métis de Fort Good Hope, Fort Norman et Norman Wells. Entente sur la revendication territoriale globale des Dénés et Métis du Sahtu. Signée le 6 septembre 1993 à Fort Norman, Territoires du Nord-Ouest.

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