Cour suprême du Canada – [2000] 1 R.C.S. 950
Cette affaire porte sur la discrimination subie par les Autochtones qui ne sont pas des Indiens inscrits. En raison, en partie, du contexte particulier et des différences entre les Indiens inscrits et les autres, la Cour juge qu’il n’y a pas de discrimination.
L’exclusion des communautés d’Indiens non-inscrits du partage des profits du Casino Rama est-elle discriminatoire au sens de la Charte canadienne des droits et libertés? La décision du gouvernement de l’Ontario et des Chefs de l’Ontario outrepasse-t-elle les pouvoirs conférés par la Loi constitutionnelle de 1867?
Non, l’exclusion des Indiens non-inscrits du partage des profits du Casino de Rama n’est pas discriminatoire, et la décision de faire de partage n’outrepassait pas les pouvoirs de l’Ontario (décision unanime).
Entre : Robert Lovelace, en son nom et au nom de la Première nation algonquine d’Ardoch et ses alliés, la Première nation algonquine d’Ardoch et ses alliés, le chef Kris Nahrgang, au nom de la Première nation Kawartha Nishnawbe, la Première nation Kawartha Nishnawbe, le chef Roy Meaniss, en son nom et au nom de la Première nation de Beaverhouse, la Première nation de Beaverhouse, le chef Theron McCrady, en son nom et au nom de la Première nation ojibway de Poplar Point, la Première nation ojibway de Poplar Point et l’Association des Métis de Bonnechere et la Be-Wab-Bon Métis and Non-Status Indian Association et l’Association des Métis autochtones de l’Ontario
Et : la Couronne de l’Ontario et les Chefs de l’Ontario
Intervenants : le Canada, le Québec, la Saskatchewan, le Conseil des Canadiens avec déficiences, la Première nation de Mnjikaning, le Comité de la Charte et des questions de pauvreté, le Congrès des peuples autochtones, l’Association des femmes autochtones du Canada et le Métis National Council of Women
En 1993, le gouvernement de l’Ontario entame des négociations en vue d’établir un casino situé dans une réserve. En 1994, la réserve des Chippewas de la Première nation de Mnjikaning est choisie pour l’installation du Casino Rama.
Le Casino Rama ouvre en 1996. Le secrétaire aux Affaires autochtones de l’Ontario et les Chefs de l’Ontario concluent un accord prévoyant que les profits du casino soient déposés dans le « Fonds des Premières Nations » pour ensuite être répartis entre les communautés des Premières Nations.
Seules les bandes inscrites conformément aux dispositions de la Loi sur les Indiens sont admissibles au programme. Les groupes excluent intentent une action contre le gouvernement de l’Ontario et les Chefs de l’Ontario pour faire déclarer inconstitutionnelle leur exclusion du partage des profits du Casino.
Lovelace et autres : Ils se considèrent comme des communautés, et sont d’avis que le système de répartition des profits contrevient au paragraphe 15(1) de la Charte.
L’Ontario et les Chefs de l’Ontario : La distinction est justifiée en vertu du paragraphe 15 (2) de la Charte. La décision de limiter l’accès au Fonds aux bandes des Premières Nations est justifiée puisque seules les bandes des Premières Nations constituent un groupe distinct en vertu de la Loi sur les Indiens, les tribunaux n’ayant jamais clarifié la notion d’ « Autochtone » ou de « Métis ». De plus, les bandes constituent une forme de gouvernement autochtone au Canada, et leurs dirigeants doivent rendre des comptes. En outre, les Autochtones vivant sur les réserves sont désavantagés par rapport à ceux qui vivent hors réserve, car ils n’ont pas accès à des programmes ou services provinciaux offerts à la population ontarienne en général. Ils doivent recevoir du financement supplémentaire pour établir leurs propres programmes. Enfin, Lovelace et les autres n’ont jamais manifesté leur intérêt pour l’activité du jeu. Il n’y a donc aucune raison pour laquelle ils auraient dû être inclus dans le processus de négociations.
Cour de l’Ontario (division générale) (1996) : L’exclusion des bandes viole le droit à l’égalité prévu au paragraphe 15 (1) de la Charte et ne peut être justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte. Les négociations entre l’Ontario et les Chefs de l’Ontario outrepassaient les pouvoirs de la province.
Cour d’appel de l’Ontario (1997) : La décision du tribunal inférieur est infirmée. Le juge a mal interprété les faits et commis des erreurs en droit. L’objectif du projet de casino était de fournir aux bandes de meilleures conditions socio-économiques, conformément aux objectifs du paragraphe 15 (2) de la Charte. Par conséquent, la distribution des profits ne pouvait constituer une discrimination en vertu du paragraphe 15 (1). La province a simplement exercé son pouvoir de dépenser, conféré par la Loi constitutionnelle de 1867, et n’a empiété d’aucune façon sur la compétence du fédéral.
Cory, L’Heureux-Dubé, Gonthier, McLachlin, Iacobucci, Major, Bastarache, Arbour
Pour déterminer s’il y a discrimination, il faut se demander si on est en présence d’un traitement différent, et si cette différence de traitement est fondée sur un motif énuméré dans la Charte ou sur un motif similaire. Il faut ensuite évaluer les points suivants :
Lovelace et les autres ont manifestement fait l’objet d’un traitement différent, car la province a confirmé qu’ils étaient exclus de la participation aux profits du casino, détenus dans le Fonds des Premières Nations, et du processus de négociation. Cependant, il ne s’agit pas d’un motif de discrimination prévu au paragraphe 15 (1) de la Charte. Compte tenu des besoins et des capacités de Lovelace et des autres, on conclut que leur conception du territoire, du gouvernement et des jeux diffère de celle des bandes des Premières Nations. Le programme de répartition des profits entre les bandes des Premières Nations vise à améliorer les conditions sociales d’un groupe spécifique plutôt que de la société en général. Par conséquent, il relève de l’exception du paragraphe 15 (2) de la Charte et n’est pas discriminatoire. Le Fonds des Premières Nations n’a pas pour effet d’empêcher Lovelace et les autres d’être reconnus comme des communautés titulaires de l’autonomie gouvernementale.
Enfin, les négociations et la mise en place du programme n’outrepassent pas les pouvoirs de l’Ontario, car elles ne portent pas atteinte à la quiddité indienne de Lovelace et des autres appelants.
L’affaire Lovelace est la première devant la Cour suprême à porter sur le droit du gouvernement d’établir des partenariats ayant pour objet l’amélioration des conditions sociales de communautés spécifiques.
Pour déterminer si un programme gouvernemental pour les Autochtones est discriminatoire ou non, il est maintenant nécessaire de déterminer s’il est mis en œuvre pour améliorer leurs conditions sociales, même s’il exclut parfois certains groupes (Bell, 2005 : 293-294). Même si les membres des Premières Nations vivant hors réserve ont historiquement fait l’objet de discrimination parmi les Autochtones, les gouvernements n’ont pas l’obligation de les inclure dans tous les programmes. Les politiques et les programmes visant à améliorer les conditions de vie d’un groupe défavorisé respectent le droit à l’égalité prévu par l’article 15 de la Charte (Morse, 2002 : 411).
Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203
McDiarmid Lumber Ltd. c. Première nation de God’s Lake, [2006] 2 R.C.S. 846
R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483
Bell Charlotte A. 2005. “Have You Ever Wonder Where S. 91 (24) Comes From ? Or (for the Erudite) the Content of S. 91 (24) of the Constitution Act, 1867”, National Journal of Constitutional Law 17 : 285-303.
McAllister Debra M. 2003. “Section 15—the Unpredictability of the Law Test”, National Journal of Constitutional Law 15 : 35-106.
Morse Bradford W. 2002. “Twenty Years of Charter Protection: The Status of Aboriginal Peoples under the Canadian Charter of Rights and Freedoms”, Windsor Yearbook of Access to Justice 21 : 385-430.