Cour suprême du Canada – [1980] 2 R.C.S. 451
La Cour juge qu’une disposition provinciale qui prévoyait que les aires de protection de la faune sont considérées comme des terres occupées de la Couronne auxquelles les Indiens n’ont pas de droit d’accès pour chasser ne respectait pas le partage des compétences entre le fédéral et la province, puisqu’elle ne touchait que les Indiens et que son seul but était de limiter leurs droits.
Le jugement renforce l’idée que le droit à la chasse de subsistance est une matière exclusivement fédérale et qu’une loi provinciale ne peut le restreindre.
1) L’article 49 de la Wildlife Act, qui prévoit que les aires de protection de la faune sont considérées comme des terres occupées de la Couronne auxquelles les Indiens n’ont pas de droit d’accès, est-il constitutionnel ?
2) Les Indiens visés par un traité ont-ils un droit d’accès à l’aire de protection pour chasser le gibier et se nourrir en tout temps?
L’article 49 de la Wildlife Act n’est pas de portée générale. Il réserve un traitement particulier aux Autochtones et modifie leur droit de chasser. Par ailleurs, la clause 13 de la Convention sur les ressources naturelles, qui prévoit que la province ne peut porter atteinte aux droits de récolte des Autochtones, s’applique. L’article 49 est donc inconstitutionnel et les Indiens ont un droit d’accès (décision unanime).
Entre : Robert Norman Sutherland, Fred Wilson et Thomas Wilson
Et : la Couronne du Manitoba
Robert Norman Sutherland, Fred Wilson et Thomas Wilson sont des Indiens qui résident sur la réserve de Peguis, au Manitoba.
En octobre 1976, ils chassaient le chevreuil pour se nourrir dans l’aire de protection de la faune du lac Mantagao à l’aide de projecteur. Ils sont été arrêtés et accusés d’avoir chassé en utilisant des appareils lumineux, contrairement au paragraphe 19(1) de la Wildlife Act.
Pourtant, le paragraphe 13 de la Convention sur le transfert des ressources naturelles du Manitoba stipule le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier en vigueur dans la province s’appliquent aux Indiens, mais que la province devra s’assurer qu’ils puissent continuer de chasser, piéger et pêcher pour se nourrir sur les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes autres terres auxquelles les Indiens peuvent avoir un droit d’accès.
Le paragraphe 49 de la Wildlife Act prévoit toutefois que les aires de protection de la faune sont considérées comme des terres occupées de la Couronne auxquelles les Indiens n’ont pas de droit d’accès
Sutherland et les autres : Le Manitoba n’avait pas la compétence pour adopter l’article 49 de la Wildlife Act. Les Indiens ont par ailleurs un droit d’accès à l’aire de protection pour chasser, car ils bénéficient de la protection du paragraphe 13 de la Convention.
La Couronne du Manitoba : Le paragraphe 13 de la Convention ne vise que les terres inoccupées de la Couronne ou les réserves indiennes. L’aire de protection est occupée et donne un droit d’accès pour chasser, mais limité à des conditions qui lient aussi les Autochtones.
La Cour des juges provinciaux du Manitoba : Les 3 hommes sont coupables.
La Cour de compté du Manitoba : L’article 49 de la Wildlife Act s’appliquait. Par conséquent, les accusés n’avaient pas de droit d’accéder aux terres où ils chassaient. Ils sont coupables d’avoir violé le paragraphe 19(1) de la Wildlife Act.
La Cour d’appel du Manitoba : L’article 49 de la Wildlife Act est inconstitutionnel. Les accusés sont acquittés
Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Etsey, McIntyre, Chouinard
L’article 49 du Wildlife Act
Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que seul le gouvernement fédéral a la compétence de faire des lois touchant les Indiens. L’article 49 dépasse les compétences constitutionnelles de la province du Manitoba. Il n’est pas d’une portée générale, car il touche spécifiquement les Autochtones et son but est de limiter l’un de leurs droits primordiaux : « leur droit constitutionnel intangible de chasser pour se nourrir » (p. 456).
La province ne peut par ailleurs pas modifier la clause 13 de la Convention par son article 49 de la Wildlife Act sans l’accord du gouvernement fédéral. L’article est donc inconstitutionnel et ne s’applique pas.
Le droit d’accès à l’aire de protection
L’aire de protection est une terre occupée de la Couronne. Il faut donc déterminer si les Autochtones y ont un droit d’accès. Pour définir la portée de l’expression « droit d’accès » du paragraphe 13, il faut interpréter tout doute en faveur des Indiens.
Comme la province donne déjà un accès limité aux Indiens et aux non-Indiens pour chasser, mais à certaines conditions, on peut conclure qu’un droit d’accès existe. Les Indiens peuvent donc chasser, indépendamment des restrictions provinciales, tant que c’est fait de façon non dangereuse.
Les accusés sont donc acquittés.
Le jugement renforce l’idée que le droit à la chasse de subsistance est une matière exclusivement fédérale et qu’une loi provinciale ne peut pas restreindre ce droit. Il appuie aussi le principe selon lequel l’interprétation des droits ambigus issus de traités doit toujours être faite en faveur des Autochtones.
Le jugement complète R. c. Mousseau, en précisant encore un peu plus la teneur des droits d’accès sur les terres de la Couronne. Mousseau stipule que le droit d’accès ne peut pas être général, il doit être spécifiquement pour la chasse. Cet arrêt vient ajouter que si le droit d’accès pour la chasse comporte des conditions, les Autochtones ne sont pas soumis à ces conditions.
Toutefois, cette décision crée la présomption selon laquelle si la loi est silencieuse relativement aux terres occupées de la Couronne, les Autochtones n’y ont pas un droit d’accès. Il est alors de leur responsabilité de prouver que leur droit d’accès existe (Pozniak, 2005).
À lire avec R. c. Mousseau, [1980] 2 R.C.S. 89
Moosehunter c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 282
R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771
Isaac Thomas. 2004. Aboriginal Law : commentary, cases and materials, 3rd ed. Saskatoon : Purich Pub.
Pozniak, Kristy. 2005. “Modification, Infringement, and the « Visible, Incompatible » Test: The Impact of R. v. Badger on Treaty Hunting Rights in the Prairie Provinces.” Saskatchewan Law Review 68: 403-434.