Cour suprême du Canada – [2003] 3 R.C.S. 371
Dans cette affaire, la Cour se penche sur le financement des souvent très coûteux dossiers de droit autochtone. Elle reconnaît qu’il existe certaines situations où il est dans l’intérêt public que le gouvernement finance les procès.
Les tribunaux peuvent-ils accorder des provisions pour frais (condamner une partie à financer le litige de l’autre) dans une cause en droit autochtone?
Les tribunaux de première instance peuvent accorder des provisions pour frais aux Autochtones dont la cause est d’intérêt publique, suivant certaines conditions (6 juges contre 3).
Entre : La Couronne de la Colombie-Britannique (ministre des Forêts)
Et : Chief Dan Wilson, à titre personnel et en qualité de représentant de la bande Okanagan, et toutes les autres personnes qui coupent, endommagent ou détruisent du bois de la Couronne sur la terre publique visée par le permis de vente de bois A57614
Et : Chef Ronnie Jules, à titre personnel et en qualité de représentant de la Bande indienne d’Adams Lake, chef Stuart Lee, à titre personnel et en qualité de représentant de la Bande indienne de Spallumcheen, chef Arthur Manuel, à titre personnel et en qualité de représentant de la Bande indienne de Neskonlith, et David Anthony Nordquist, à titre personnel et en qualité de représentant de la Bande indienne d’Adams Lake, de la Bande indienne de Spallumcheen et de la Bande indienne de Neskonlith, et toutes les autres personnes qui coupent, endommagent ou détruisent du bois de la Couronne sur la terre publique visée par le permis de vente de bois A38029 (bloc 2)
Intervenants : le Canada, l’Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Colombie-Britannique, l’Alberta, Bande indienne des Songhees, Première nation des T’Sou‑ke, Première nation de Nanoose et Bande indienne de Beecher Bay (collectivement appelées « Nations des Te’mexw »), et chef Roger William, en son nom, en celui de tous les autres membres du gouvernement des Premières nations Xeni Gwet’in et en celui de tous les autres membres de la Nation des Tsilhqot’in
En 1999, la bande indienne Okanagan, la Bande indienne des Songhees, la Première nation T’Sou-ke, la Première nation de Nanoose et la bande indienne de Beecher Bay (ci-après les « Nations des Te’mexw ») de Colombie-Britannique commencent l’exploitation forestière de terres de la Couronne, sans les autorisations requises par le Forest Practices Code of British Columbia Act. Le bois récolté devait être utilisé pour construire des logements dans les réserves. Le ministre des Forêts signifie aux Nations des Te’mexw des ordonnances de cessation des travaux en vertu du Forest Practices Code of British Columbia Act, et introduit une instance afin de les faire respecter.
Puisque les Nations Te’mexw ne possédaient pas les ressources financières voulues pour prouver leur titre aborigène au tribunal, elles ont demandé à la Cour de leur que leurs honoraires et débours d’avocats soient financés par la Couronne (provision pour frais).
Les Nations des Te’mexw : Le Forest Practices Code of British Columbia Act porte atteinte à leur titre aborigène sur les terres visées. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a le pouvoir de leur accorder une provision pour frais, car ils détiennent un droit général d’accès à la justice qui est implicite dans la Charte canadienne des droits et libertés, et qui découle de la primauté du droit, de la protection des droits ancestraux confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et du droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte.
La Couronne : Elle n’a aucune obligation en vertu du paragraphe 35 (1) de la Loi constitutionnelle de 1982 de financer l’affirmation des droits des Premières nations, et les circonstances de cette affaire n’exigent pas l’octroi d’une provision pour frais par la Cour.
Cour suprême de la Colombie-Britannique (2000): La cause doit être renvoyée à procès. Le ministre n’a pas à verser une provision pour frais aux bandes avant le début du procès.
Cour d’appel de la Colombie-Britannique (2001) : L’appel des Nations des Te’mexw est accueilli. La prétention d’un droit constitutionnel à du financement fondé sur la primauté de la règle de droit et de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est rejeté. Toutefois, un juge de première instance possède le pouvoir discrétionnaire d’ordonner une provision pour frais dans des circonstances exceptionnelles comme celle de cette affaire : la Nation des Te’mexw était confrontée à de graves problèmes sociaux (chômage, manque de logement dans les réserves, faible éducation, déficit budgétaire pour les activités de tous les jours) qui devaient avoir préséance sur le financement d’un litige coûteux.
McLachlin, Gonthier, Binnie, Arbour, LeBel, Deschamps
La décision de la Cour d’appel est confirmée.
La jurisprudence canadienne a reconnu le pouvoir discrétionnaire des tribunaux en ce qui concerne les provisions pour frais. Les questions d’accès à la justice ou d’inégalités profondes entre les parties, tout comme l’intérêt public, étaient des facteurs importants dans cette affaire. Ce litige transcendait les intérêts de la cause individuelle des bandes impliquées et avait le potentiel d’affecter des Autochtones et des non-autochtones de l’ensemble Canada.
Les critères d’attribution des provisions pour frais sont (1) la partie qui réclame une provision pour frais n’a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige, (2) la demande vaut à première vue la peine d’être instruite, (3) le litige est la dernière option viable et (4) les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n’ont pas encore été tranchées par un tribunal canadien.
L’arrêt Okanagan a eu un impact important sur les litiges d’intérêt public, puisque la Cour a élargi la notion de provisions pour frais afin de faciliter l’accès à la justice pour les parties soulevant des questions fondamentales, mais n’ayant pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige (Bhabha, 2007:148). Les critères de l’arrêt Okanagan ne doivent pas être considérés comme s’il s’agissait d’un système parallèle imposé d’aide juridique. Il s’agit simplement d’un moyen de combattre une injustice qui aurait été commise envers une partie et le public en général si les provisions pour frais n’avaient pas été accordées (Ibid: 151).
Application limitée
Dans les faits, l’arrêt Okanagan a été interprété de manière assez stricte. Des ordonnances similaires ont été rendues par les tribunaux, mais la majorité ont été infirmées en appel, car les groupes d’intérêt public ont souvent échoué à prouver leur précarité financière et des circonstances spéciales (Tollefson, 2006: 40). Il n’existe aucune preuve que le système judiciaire et les ressources du gouvernement seront submergés de demandes de financement fondées sur l’arrêt Okanagan (Toffelson, 48).
Programme de financement des causes types
Depuis 1965, le gouvernement canadien a financé des causes types qui ont soulevé d’importantes questions juridiques touchant les Autochtones. Cette approche a été officiellement reconnue par AINC en 1983 dans le cadre du Programme de financement des causes types (PFCT). Ce mécanisme permet d’établir de la jurisprudence qui aide le ministère des Affaires autochtones à remplir sa mission : respect des responsabilités juridiques, légales et constitutionnelles des Autochtones et développement de nouvelles politiques publiques visant à éviter les litiges et à tenter d’obtenir des règlements hors cour (AINC, 2009: 6). Le programme a fourni des ressources financières à certains Autochtones qui souhaitent avoir accès aux tribunaux. Selon le ministère, en 2009, le PFCT avait été utilisé dans 170 causes, dont 50 décidées en dernier ressort par la Cour suprême (Ibid: ii). L’objectif à court terme du PFCT est de résoudre et de clarifier les causes obtenant du financement, mais à long terme, le gouvernement fédéral considère que ce programme contribue à la réconciliation entre les peuples autochtones et le reste de la société canadienne (Ibid: 7).
Afin de recevoir du financement, les candidats doivent contacter le bureau régional ou l’administration centrale du ministère et fournir certains détails comme la question de droit en litige, l’estimation des frais de litige et un calendrier provisoire. Un avis juridique est demandé à Justice Canada afin d’établir si l’affaire pourrait créer un précédent en droit autochtone. Si le ministère conclut positivement, les différentes directions du ministère doivent donner leurs points de vue concernant les impacts potentiels de l’affaire, et soumettre des recommandations au gestionnaire du PFCT. Le sous-ministre examine les différentes notes d’information avant de faire rapport au ministre, qui prend la décision finale. Un accord de contribution est alors rédigé par le PFCT, le bénéficiaire et son représentant juridique. L’accord peut être renouvelé au besoin d’année en année (Ibid, p. 9-10). Le programme a été de renouvelé jusqu’en 2014, mais son budget est de 750 000 $ par an. Le taux horaire versé aux avocats est de 150 $.
Bhabha Faisal. 2007. Institutionalizing Access-to-Justice: Judicial, Legislative and Grassroots Dimensions, in Queen’s Law Journal 33 (Fall) : 139-178.
Gourlay David. 2005. Access or Excess: Interim Costs in Okanagan, in University of Toronto Faculty of Law Review 63 (Winter) : 111-143.
Affaires indiennes et du nord Canada. 2009. Évaluation du Programme de financement des causes types. Ottawa : Gouvernement du Canada. En ligne. http://www.ainc-inac.gc.ca/ai/arp/aev/pubs/ev/tcf/tcf-fra.pdf. Consulté le 1er décembre 2009.
Tollefson Chris. 2006. Costs and the Public Interest Litigant : Okanagan Indian Band and Beyond, in Canadian Journal of Administrative Law & Pratice 83 (2) : 473-514.