Canadien Pacifique Ltée. c. Bande indienne de Matsqui

Cour suprême du Canada – [1995] 1 R.C.S. 3


Colombie-Britannique Compétence des tribunauxGouvernance (inclut auto-détermination, autonomie gouvernementale)
Sommaire

Dans cette affaire, la Cour suprême reconnaît que les tribunaux des Autochtones doivent être respectés, puisqu’ils s’inscrivent dans un processus d’autonomisation. Toutefois, les règles d’indépendance des tribunaux doivent aussi s’appliquer à eux.

Question

Le CP et Unitel pouvaient-ils contourner le processus d’appel interne en présentant une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale concernant l’avis d’imposition reçu?

Décision

Oui – le tribunal interne de la bande n’étant pas compétent en l’espèce (5 juges contre 4).

Parties

Entre : La bande indienne de Matsqui et le conseil de la bande indienne de Matsqui

Et : Canadien Pacifique Limitée et Unitel Communications Inc.

– ET – Entre : La bande indienne Siska et le conseil de la bande indienne de Siska, la bande indienne Kanaka Bar et le conseil de la bande indienne Kanaka Bar, la bande indienne Nicomen et le conseil de la bande indienne Nicomen, la bande indienne de Shuswap et le conseil de la bande indienne de Shuswap, la bande indienne Skuppah et le conseil de la bande indienne Skuppah et la bande indienne de Spuzzum et le conseil de la bande indienne de Spuzzum

Et : Canadien Pacifique Limitée 

Intervenant : La Commission consultative de la fiscalité indienne

Faits

En 1985, après un long processus de consultations et de négociations entre le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et les représentants des Autochtones, la Loi sur les Indiens est modifiée. Elle permet aux bandes d’adopter leurs propres règlements en vue d’établir un régime fiscal pour les biens immobiliers situés sur leur réserve. La modification entre en vigueur en 1988.

En 1992, la bande indienne et le conseil de la bande indienne de Matsqui et d’autres bandes situées en Colombie-Britannique mettent en œuvre ce nouveau régime. Le règlement adopté par la bande de Matsqui crée un tribunal de révision (intervenant après le comité de révision des évaluations) chargé d’entendre les contestations d’évaluation fiscale. Les autres bandes mettent en place une structure similaire. Les membres de ces tribunaux étaient rémunérés ou non, occupaient des postes à titre amovible et pouvaient être membre de la bande concernée (Mullan, 2003).

Conformément aux dispositions des divers règlements, les bandes ont transmis des avis d’imposition au Canadien Pacifique (CP) et à Unitel Communications inc. (Unitel) concernant des parcelles de terre de réserves sur lesquelles se trouvaient des chemins de fer du CP et des câbles optiques d’Unitel, installés sur le terrain de CP. Au lieu de recourir à la procédure d’appel prévue au règlement, CP et Unitel ont saisi la Cour fédérale pour obtenir le contrôle judiciaire de l’avis d’imposition.

Arguments

CP : Elle possède les droits de propriété de la ligne de chemin de fer en vertu de lettres patentes délivrées par la Couronne du Canada en 1891, et détient un fief simple sur ces terres qui ne font pas partie de la réserve, puisque une réserve est une «[p]arcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire». Par conséquent, elles ne peuvent être assujetties à une taxation en vertu du paragraphe 83 (1) de la Loi sur les Indiens. De plus, le tribunal d’appel possède uniquement la compétence sur des questions liées à l’évaluation, ce qui ne lui permet pas de résoudre des litiges concernant la classification des terres.

Les bandes : Demandent le rejet de la demande de contrôle judiciaire des intimés, alléguant que la Cour fédérale ne posséde pas la compétence pour entendre cette affaire puisque le CP et Unitel n’avaient pas d’abord présenté leur demande au tribunal de révision (ou un tribunal similaire). Le recours à la Cour fédérale est disponible uniquement lorsque le processus d’appel interne a échoué. La procédure appropriée devrait être un appel interjeté à la Cour fédérale et non une demande de contrôle judiciaire.

Décisions des tribunaux inférieurs

Cour fédérale, Division de première instance (1993) : Les arguments de la bande sont retenus et la demande de contrôle judiciaire des intimés.

Cour d’appel fédérale (1993) : L’appel de la décision de première instance est accueilli. Le juge a le pouvoir discrétionnaire d’accepter le contrôle judiciaire au lieu d’un appel. La question de savoir si le terrain visé est situé « dans la réserve » n’est pas abordée.

Motifs

Jury

Lamer, La Forest, Cory, McLachlin, Major

Raison

Lamer (Cory) : La procédure de contestation interne qui a pour but de décider de l’exactitude de l’avis d’imposition permet également au tribunal de révision de déterminer si une parcelle une terre fait partie ou non d’une réserve. La compétence du tribunal de révision n’est pas limitée à la seule évaluation des terres puisque le mot « évaluation » décrit l’ensemble du processus. La Cour fédérale est autorisée à entendre une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise par des évaluateurs concernant les avis d’imposition de biens immobiliers situés dans les réserves. La Cour fédérale partage la compétence visant à déterminer si des parcelles de terre font partie ou non de la réserve avec les tribunaux d’appel.

Le régime d’évaluation foncière s’inscrit dans le cadre de la politique du gouvernement fédéral visant à promouvoir et protéger l’autonomie gouvernementale des Autochtones, et lorsque le CP et Unitel ont contourné les procédures de révision, elles allaient à l’encontre de ces objectifs. Cela peut porter préjudice aux bandes ayant adopté des règlements relatifs à la taxation.

Toutefois, une personne raisonnable en viendrait à la conclusion que les membres des tribunaux d’appel ne sont pas suffisamment indépendants par rapport aux bandes et à leurs conseils, puisqu’ils ne disposent d’aucune sécurité financière, qu’ils occupent un poste à titre amovible, qu’ils sont nommés par les chefs et les conseils de bande, et qu’ils doivent trancher entre les intérêts de la bande et ceux de personnes de l’extérieur. Ainsi, le juge de première instance a commis une erreur dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, et il aurait dû entendre la demande de contrôle judiciaire.

La Forest (McLachlin et Major) : le CP et Unitel auraient dû être autorisés à présenter une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale, puisque les deux sociétés contestaient le pouvoir de la bande d’évaluer les parcelles de terre visées.

Impact

La décision a une plus grande incidence dans le domaine du droit administratif que du droit autochtone au Canada. Pour la première fois, les règles de l’indépendance judiciaire ont été étendues à un tribunal quasi-judiciaire (Ellis, 2006: 328).

Pour plus d’informations sur le processus d’évaluation et le rôle de la Commission consultative de la fiscalité indienne, voir l’arrêt Bande indienne d’Osoyoos c. Oliver (Ville), [2001] 3 RCS 746.

Voir Aussi

Bande indienne Osoyoos c. Oliver (Ville), 2001 SCC 85


Sources

Ellis S. Ronald. 2006. The Justicizing of Quasi-Judicial Tribunals – Part I, in Canadian Journal of Administrative Law & Practice 19 : 303-338.

Mullan David J. 2003. Adminstrative Law : Cases, Text, and Materials, 5th edition. Toronto : Edmond Montgomery.

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