Canada Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général)

Cour suprême du Canada – 2013 CSC 14


Manitoba Honneur de la CouronneMétisObligation de fiduciaire
Sommaire

Cet arrêt se penche sur les obligations de la Couronne envers les Métis du Manitoba dans la mise en œuvre des articles 31 et 32 de la Loi sur le Manitoba. Elle reconnaît la possibilité de manquement à l’honneur de la Couronne par fautes accumulées, et rejette une défense basée sur le passage du temps.

Comme la Loi sur le Manitoba ne donne pas de pouvoir discrétionnaire à la Couronne sur des intérêts autochtones, elle n’engage pas de devoir de fiduciaire. Toutefois, le gouvernement n’a pas respecté le principe de l’honneur de la Couronne dans sa mise en œuvre à cause d’une série d’erreurs et de retards accumulés.

Citation

[…] un acte négligent ne suffit pas, à lui seul, à établir le défaut de mettre en œuvre une obligation comme le commande l’honneur de la Couronne. Par contre, une tendance persistante au manque d’attention peut l’établir, si cette pratique va à l’encontre des objectifs de l’obligation constitutionnelle, particulièrement en l’absence d’explications satisfaisantes (para. 107 du jugement).

Question

  1. Le Canada a-t-il manqué à une obligation fiduciaire envers les Métis?
  2. Le Canada a-t-il respecté le principe de l’honneur de la Couronne dans la mise en œuvre des articles 31 et 32 de la Loi sur le Manitoba?
  3. La demande de jugement est-elle prescrite?

Décision

La mise en œuvre de la Loi sur le Manitoba n’a pas donné naissance à une obligation fiduciaire, mais la Couronne n’a pas respecté le principe d’honneur de la Couronne. La demande n’est pas prescrite (6 juges contre 2 – 1 abstention).

Parties

Entre : Manitoba Metis Federation Inc., Yvon Dumont, Billy Jo De La Ronde, Roy Chartrand, Ron Erickson, Claire Riddle, Jack Fleming, Jack McPherson, Don Roulette, Edgar Bruce Jr., Freda Lundmark, Miles Allarie, Celia Klassen, Alma Belhumeur, Stan Guiboche, Jeanne Perrault, Marie Banks Ducharme et Earl Henderson.

Et : le Canada et le Manitoba

Intervenants : la Saskatchewan, l’Alberta, Ralliement national des Métis, Métis Nation of Alberta, Métis Nation of Ontario, Premières nations du traité no 1 et Assemblée des Premières Nations

Faits

La Compagnie de la Baie d’Hudson avait le contrôle du territoire appelé Terre de Rupert (aujourd’hui au Manitoba) qui a vu naître un nouveau groupe d’autochtones : les Métis. La colonie de la Rivière Rouge était une des plus grandes collectivités de ces terres et les Métis y étaient le groupe démographique le plus important.

En 1867, lors de l’unification du Canada, l’Angleterre qui possédait la Compagnie de la Baie d’Hudson a donné ce territoire au Canada. Avec l’arrivée massive de colons protestants anglophones à la suite de cette unification, les Métis ont organisé une résistance.

Le Canada a négocié avec le groupe Métis. Ensemble, ils ont mis sur pied la Loi sur le Manitoba, adoptée en 1870. Les articles 31 et 32 prévoyaient la cession de 1,4 million d’acres de terres aux enfants des Métis et permettaient aux Métis actuels de conserver leurs terres.

La mise en œuvre de cette cession de terres a pris 15 ans. Elle a été remplie d’une série d’erreurs. De plus, certains enfants Métis ont été oubliés dans le décompte, et ont reçu plutôt un certificat échangeable contre une terre qui ne valait pas ce que les autres enfants ont reçu.

Ce délai dans la mise en œuvre de l’article 31 a favorisé la venue de colons de race blanche, qui ont rapidement formé la majorité des habitants. La communauté métisse a migré ou s’est dissipée. Ces derniers demandent aujourd’hui un jugement déclarant que le Canada a manqué à son obligation fiduciaire, et n’a pas agi conformément à l’honneur de la Couronne dans l’application de la Loi sur le Manitoba.

Arguments

Manitoba Metis Federation Inc : Les Métis avaient un intérêt autochtone sur les terres visées par l’article 31, et cela déclenchait l’obligation fiduciaire de la Couronne à leur égard. Dans le processus de cession de terres, le Canada a manqué à l’honneur de la Couronne.

La Couronne : Aucune obligation fiduciaire n’a été déclenchée. La négligence dans la mise en œuvre de l’article 31 n’est pas déshonorable pour la Couronne. De toute façon, la demande des Métis est irrecevable car elle se fonde sur de trop vieilles doléances et qu’ils ont manqué de diligence.

Décisions des tribunaux inférieurs

La Cour du Banc de la Reine du Manitoba : Les articles 31 et 32 n’imposent aucune obligation fiduciaire et aucune obligation fondée sur le principe de l’honneur de la Couronne. De toute façon, la prescription et le manque de diligence de la part des Métis font obstacle à la demande.

La Cour d’appel du Manitoba : Rejette la demande.

Motifs

Jury

Deschamps, Fish, Abella, Cromwell, Karakatsanis

Raison

Obligation fiduciaire

Tous les rapports ne déclenchent pas l’obligation fiduciaire. L’obligation peut naître (1) en présence de pouvoirs discrétionnaires de la Couronne sur des intérêts autochtones ou (2) d’un engagement de la Couronne à agir comme un fiduciaire.

Dans ce cas-ci, l’obligation de fiduciaire ne peut pas prendre naissance de la première façon, car les Métis n’ont pas un intérêt identifiable sur leurs terres. L’intérêt doit être distinctement autochtone. Autrement dit, il doit s’agir d’un intérêt collectif sur des terres qui font partie du mode de vie des Métis et de leurs rapports avec le territoire. Or, les Métis en tant que groupe ne détenaient pas dans le passé un intérêt unifié suffisant sur les terres visées par les articles 31 et 32 de la Loi sur le Manitoba.

L’obligation fiduciaire ne prend pas naissance de la deuxième façon non plus, car le Canada ne s’est pas engagé à agir comme fiduciaire. L’article 31 prévoit un avantage pour les enfants Métis, mais rien dans cet article ne démontre une intention d’agir au mieux de leurs intérêts dans toutes les circonstances. L’article 32 n’est pas non plus un engagement, car il s’applique à tous les types de propriétaires et pas seulement aux Métis.

Les articles 31 et 32 de la Loi sur le Manitoba n’imposent donc pas au Canada une obligation fiduciaire envers les Métis.

Honneur de la Couronne

L’objectif de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 est de réconcilier les sociétés autochtones avec l’affirmation de la souveraineté de la Couronne. L’honneur de la Couronne est ainsi engagé quand il faut concilier les droits des autochtones prévus dans la constitution avec la souveraineté de la Couronne. Les promesses faites par traité peuvent être comparables aux obligations constitutionnelles s’il y a un certain élément de solennité. L’honneur de la Couronne est alors engagé et force le gouvernement à adopter une approche en faveur des intérêts autochtones et à agir avec soin pour remplir la promesse.

L’article 31 de la Loi sur le Manitoba engage l’honneur de la Couronne. Les promesses faites par cet article sont solennelles, donc tout aussi importantes que celles qui peuvent être faites par traité. En effet, l’article 31 fut rédigé lors de la création d’une nouvelle province et vise à créer des obligations juridiques de la plus haute importance pour concilier les intérêts des Autochtones.

L’honneur de la Couronne oblige le gouvernement à réaliser cette promesse avec soin et application. Une mise en œuvre rapide et efficace était essentielle au projet de réconciliation. Toutefois, une série d’erreurs et d’inactions ont persisté pendant plus de 10 ans. La promesse n’a donc pas été exécutée avec diligence, et la Couronne a ainsi manqué à son honneur.

L’article 32 n’est pas une promesse faite à un groupe autochtone, mais plutôt à tous les colons, Métis ou non. Contrairement à l’article 31, il ne crée pas l’obligation de se conduire honorablement.

Prescription et diligence (doctrine des laches)

Les lois sur la prescription n’empêchent pas les tribunaux de rendre des jugements déclaratoires sur la constitutionnalité d’une loi. Dans le même ordre d’idée, les tribunaux peuvent aussi rendre des jugements déclaratoires sur la constitutionnalité de la conduite de la Couronne, et ce, malgré les délais de prescription.

Les Métis ne demandent pas de réparation personnelle ou des dommages et intérêts. Ils demandent un jugement déclaratoire et une simple loi de prescription ne l’empêche pas.

La doctrine des laches, ou doctrine du manque de diligence, n’est pas non plus applicable. Le droit autochtone évolue rapidement et il est irréaliste de demander aux Métis de faire valoir leurs droits avant que les tribunaux ne soient prêts à les reconnaitre. De plus, les Métis n’ont jamais accepté le statu quo de la situation.

Impact

La Cour crée un nouveau recours en justice : une obligation constitutionnelle solennelle engage maintenant l’honneur de la Couronne. Il y aura manquement à cet honneur si la conduite du gouvernement ou de ses représentants n’est pas diligente (Rathwell, 2013).

Le terme solennel est ambigu. On ne précise pas quel type de document peut donner lieu à une telle obligation. On crée ainsi un nouveau droit, mais sans en connaître la portée (Shaw, 2013).

Cette nouvelle obligation semble par ailleurs être une version allégée de l’obligation fiduciaire. Cela permet de demander des réparations en invoquant l’honneur de la Couronne, mais sans respecter les critères plus sévères de l’obligation fiduciaire. Cette nouvelle obligation élargit donc a responsabilité de l’État à l’égard des groupes autochtones (Banks, 2013).

Ce jugement est une grande victoire pour les peuples Métis et suscite beaucoup de contentement au sein des différentes communautés (CBC News, 2013). Bien qu’aucun remède n’ait été accordé par la Cour, le jugement donne plus de poids aux Métis en vue de leur future négociation avec le gouvernement du Canada et des provinces (Lucky, 2013).

Voir Aussi

Applique des notions vues dans Nation haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511et R. c. Powley, [2003] 2 R.C.S. 207


Sources

Banks, Nigel. 2013. The Manitoba Métis Case and the Honour of the Crown. The University of Calgary Faculty of Law; Blog on Development in Alberta Law. En ligne: http://ablawg.ca/2013/04/09/the-manitoba-metis-case-and-the-honour-of-the-crown/. Consulté le 25 juin 2013.

CBCNews Canada. 2013. Métis Celebrate Historic Supreme Court Land Ruling. En ligne: http://www.cbc.ca/news/canada/story/2013/03/08/pol-metis-supreme-court-land-dispute.html. Consulté le 25 juin 2013.

Lucky, Shannon. 2013. Métis-Canadian Relations: A response to the Manitoba Métis Federation v Canada landmark court decision. Métis In the Courts. En ligne : http://metisinthecourts.ualberta.ca/?p=208. Consulté le 25 juin 2013.

Rathwell, Nikita. 2013. Supreme Court of Canada Expands on the Honour of the Crown in Manitoba Métis Federation Inc. v Canada (Attorney General). The Court. Online: http://www.thecourt.ca/2013/03/26/12233/. Consulted June 26, 2013.

Shaw, Byron. 2013. Canada: A Duty Of Diligent Fulfillment? SCC Rules That Land Grants To Métis Children Breached Honour Of Crown. MONDAQ: Connecting Knowledge & People. En ligne: http://www.mondaq.com/canada/x/229186/indigenous+peoples/. Consulté le 25 juin 2013.

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