Cour suprême du Canada – [1997] 2 R.C.S 678
Lorsqu’on étudie les transactions foncières des Autochtones, il faut se demander quelle était l’intention de parties au moment de la transaction. Il faut regarder au-delà des règles traditionnelles de common law.
Ici, une bande qui cède une partie de sa réserve en échange de sa valeur marchande ne peut plus y imposer de taxes, même si les terres devront être rétrocédées si elles cessent d’être utilisées à des fins d’utilité publiques.
La bande pouvait-elle taxer la Ville pour des terres cédées à la Couronne en échange de leur valeur marchande, mais sujettes à une rétrocession si ces terres cessaient d’être utilisées à des fins d’utilité publique?
Il faut se demander quelle était l’intention des parties au moment de la transaction. Ici, la bande ne pouvait pas taxer la Ville, puisque les terres ont été vendues, et que la bande souhaitait s’en départir de façon permanente (décision unanime).
Entre : La bande indienne de St. Mary’s et Conseil de la bande indienne de St. Mary’s
Et : La ville de Cranbrook
Intervenant : La Couronne du Canada
En 1966, la bande indienne de St. Mary’s de la nation Ktunaxa de Colombie-Britannique cède à la Couronne fédérale une partie de sa réserve pour la construction d’un aéroport desservant la ville de Cranbrook. L’accord contenait une clause de rétrocession des terres si elles cessaient d’être utilisées à des fins d’utilité publique. Les terres sont par la suite transférées à Transports Canada, qui les loue à la ville.
Le paragraphe 83 (1) de la Loi sur les Indiens limite le pouvoir des conseils de bande d’imposer des taxes foncières aux droits sur les immeubles situés « dans la réserve ». Par conséquent, la Ville n’a payé aucune taxe foncière pour les terres louées.
En 1988, la Loi sur les Indiens est changée pour indiquer que certaines terres cédées (les terres cédées « autrement qu’à titre absolu ») étaient désormais visées par la définition légale de réserve.
En 1992, la bande impose des taxes foncières à la Ville en invoquant que le transfert avait été fait « autrement qu’à titre absolu ». La Ville refuse de payer ces taxes.
La bande : Les terres cédées sont visées par la catégorie des « terres désignées » de la Loi sur les Indiens, puisque l’accord conclu en 1966 prévoyait que les terres devaient être retournées à la bande si elles cessaient d’être utilisées à des fins d’utilité publique, et que de ce fait la cession n’a pas été effectuée à titre absolu.
La Ville de Cranbrook : Le transfert des terres de 1966 peut être interprété comme une cession à titre absolu par la bande, puisqu’elle a obtenu la pleine valeur marchande de la part de la Couronne. La stipulation prévoyant le cas où les terres « cessent d’être utilisées à des fins d’utilité publique » doit être interprétée comme une simple condition assortissant le transfert à titre absolu.
Cour suprême de la Colombie-Britannique (1994) : Tranche en faveur de la bande.
Cour d’appel de la Colombie-Britannique (1995) : La décision de première instance est renversée.
Lamer, La Forest, L’Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Major
Le caractère sui generis (unique en son genre) des droits fonciers des Autochtones oblige la Cour à regarder au-delà des règles traditionnelles du droit des biens en common law pour résoudre le litige. Il faut plutôt rechercher l’intention réelle des parties lors de la conclusion de l’accord.
Puisque la bande a choisi en 1966 de vendre (et non de louer) une partie de ses terres à la Couronne pour la construction d’une installation de longue durée (un aéroport dans ce cas) en contrepartie d’une somme correspondant à la pleine valeur marchande des terres, son intention était de céder les terres de façon permanente.
Après consultation des débats parlementaires concernant les modifications à la Loi sur les Indiens, on peut conclure que l’expression « autrement qu’à titre absolu » ne vise que les terres cédées à des fins de location, et non les terres cédées à des fins de vente.
La bande ne pouvait donc pas taxer la Ville de Cranbrook.
À la suite du jugement de la Cour prononcé en sa faveur, la ville de Cranbrook a demandé à son registraire des titres fonciers d’enregistrer les terres cédées à son nom.
En 1999, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a décidé d’autoriser l’enregistrement après l’ajout, par le registraire, d’une notation reconnaissant que la bande indienne de St-Mary’s possédait un intérêt dans les terres si l’aéroport devait cesser d’exister (Cranbrook (City) v. Cranbrook Registrar of Land Titles, 1999).
Cranbrook (City) v. Cranbrook Registrar of Land Titles, [1999] B.C.J. No. 230 (B.C. S.C. [en chambre])