Alberta (Affaires autochtones et développement du Nord) c. Cunningham

Cour suprême du Canada – [2011] 2 R.C.S. 670


Alberta Charte canadienne des droits et libertésGouvernance (inclut auto-détermination, autonomie gouvernementale)IdentitéMétis
Sommaire

La Cour se penche sur le Metis Settlements Act et juge qu’il peut être justifié de refuser des droits aux Métis qui sont aussi inscrits à titre d’Indien.

Ce refus crée une distinction entre les Métis inscrits comme Indiens et les Métis qui ne sont pas reconnus comme Indien, mais il résulte d’un programme améliorateur pour enrichir l’autonomie des Métis et peut se justifier dans une société libre et démocratique.

Citation

Pour préserver la culture et l’identité particulières des Métis et pour garantir l’efficacité de l’autonomie gouvernementale au moyen d’une assise territoriale pour les Métis, il est nécessaire de tracer une ligne de démarcation. Il en découle nécessairement que ce ne sont pas toutes les personnes qui sont des Métis au sens large — soit des personnes qui ont des ancêtres à la fois européens et indiens et qui s’identifient comme appartenant à la communauté métisse, comme l’envisage l’arrêt Powley — qui peuvent demander le statut de membre dans une communauté métisse en vertu de la MSA (para. 86 du jugement).

Question

La loi Metis Settlements Act viole-t-elle la Charte canadienne des droits et libertés? Dans l’affirmative, cette violation constitue-t-elle une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique?

Décision

Le Metis Settlement Act (MSA) est un programme améliorateur qui a pour but d’enrichir la culture, l’identité et l’autonomie gouvernementale Métis. L’exclusion des Métis qui sont aussi des Indiens inscrits est un moyen raisonnable qui permet d’assurer l’objectif du programme. Même si cela discrimine et prive de droits certains Métis, c’est en conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés (jugement unanime).  

Parties

Entre : Barbara Cunningham, John Kenneth, Cunningham, Lawrent (Lawrence), Cunningham, Ralph, Cunningham, Lynn, Noskey, Gordon Cunningham, Roger, Cunningham, Ray Stuart et Peavine Métis, Settlement

Et : la Couronne de l’Alberta (Ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord) et Registraire, Metis Settlements Land Registry

Intervenants : l’Ontario, le Québec, la Saskatchewan, East Prairie Métis Settlement, Elizabeth Métis Settlement, Métis Nation of Alberta, Ralliement national des Métis, Métis Settlements General Council, Aboriginal Legal Services of Toronto Inc., Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, Association canadienne pour l’intégration communautaire, Gift Lake Métis Settlement et Association des femmes autochtones du Canada.

Faits

Descendants d’une union entre les Européens et les Autochtones, les Métis ont développé une culture distincte de leurs ancêtres. La Couronne ne leur a jamais reconnu les avantages qu’ont les Indiens, par exemple la création de terres réservées ou la reconnaissance de droits protégés par la Loi sur les Indiens.

En 1982, cela change avec l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnait enfin trois peuples autochtones distincts : les Indiens, les Métis et les Inuits. En Alberta, le Metis Settlements Act est le fruit des négociations entre le gouvernement et les Métis. Il concrétise l’établissement de terres réservées pour les Métis, donne une autonomie gouvernementale aux communautés Métis et protège leur culture et leur identité.

Les Cunningham étaient des Métis de l’Alberta, membres de l’établissement de Peavine reconnu par la MSA. Ils ont décidé de s’inscrire comme Indiens, conformément à la Loi sur les Indiens, pour bénéficier de services médicaux. Les articles 75 et 90 de la MSA prévoient que l’inscription volontaire au registre des Indiens empêche d’être membre dans un établissement Métis. Les Cunningham ont ainsi été exclus de Peavine.

Arguments

Les Cunningham : La MSA est inconstitutionnelle. Les dispositions de la MSA portent atteinte à leurs droits à l’égalité, à la libre association et la liberté quant au lieu de résidence, respectivement protégé par les articles 15, 2d) et 7 de la Charte canadienne.

 La Couronne de l’Alberta : Il n’y a pas violation du droit à l’égalité, car le paragraphe 15(2) de la Charte canadienne protège la MSA contre une accusation de discrimination. Il n’y a pas lieu de parler des articles 2d) et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Décisions des tribunaux inférieurs

Le juge en cabinet : Il n’y a pas violation du droit à l’égalité, car il est impossible de réaliser des objectifs communs entre les Métis et les Métis aussi inscrits à titre d’Indiens. L’article 7 de la Charte canadienne n’est pas violé, car l’atteinte au lieu de résidence n’est ni arbitraire ni disproportionnée.

La Cour d’appel : Les dispositions du MSA sont incompatibles avec le droit à l’égalité, car il n’y a aucune preuve selon laquelle l’exclusion des Métis inscrits comme Indiens permet d’atteindre les objectifs du programme améliorateur.

Motifs

Jury

McLachlin, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron, Rothstein, Cromwell

Raison

Article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés

Le but de l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés est d’assurer une égalité réelle entre les citoyens. Le paragraphe 15(2) plus précisément permet au gouvernement de sélectionner un groupe défavorisé de façon à améliorer sa situation. Pour déterminer s’il y a eu une violation du droit à l’égalité, on doit regarder [1] s’il y a une distinction fondée sur un des motifs prévus dans la Charte et [2] si cette distinction est justifiée par le paragraphe 15(2).

La MSA fait une différence entre les Indiens inscrits et les Indiens qui ne sont pas inscrits, et c’est une distinction sur un motif équivalent à ceux prévus dans la Charte canadienne. Pour déterminer si cette distinction est justifiée, il faut vérifier que la MSA vise à améliorer et bonifie la situation du groupe défavorisé, et qu’il y a un lien entre le programme et les désavantages vécus par le groupe discriminé.

La MSA vise l’enrichissement de l’identité et de la culture des Métis et la promotion de leur autonomie gouvernementale, tout en créant des terres réservées. C’est donc un programme qui essaie d’améliorer la protection de la culture et de l’identité Métis par opposition à celle des Indiens. Dans cette lutte pour préserver leur identité propre, les Métis craignent que le chevauchement entre les cultures compromette leur identité et leur culture. Le fait d’établir une distinction sur cette base n’est donc pas irrationnel.

Bien que certains individus soient à la fois Métis et Indien, cela ne permet pas de conclure qu’il y a une violation de l’égalité garantie par le paragraphe 15(2) de la Charte.

Autres articles de la Charte

L’insuffisance de preuve n’a pas permis à la Cour de se prononcer relativement à la violation de la liberté d’association. On n’a pas non plus fait la preuve de la violation d’un principe de justice fondamentale. Il n’y a donc pas lieu de regarder s’il y a atteinte à la liberté garantie par cet article.

Impact

La Cour suprême décide sans équivoque qu’un Métis de l’Alberta ne peut être aussi un Indien inscrit. Les répercussions de ce jugement sont que ceux qui ont les deux identités doivent choisir laquelle ils désirent faire reconnaître.

Les Métis se sont néanmoins dites heureuses de la décision de la Cour. Après 5 ans de négociations et des centaines d’années de non-reconnaissance, on a distingué leur identité des autres peuples autochtones. La Cour confirme aussi la différence entre les droits et intérêts de chacun et leur donne des terres réservées.

De plus, le jugement établit le droit d’exclure d’autres peuples autochtones des régimes de protections Métis, de définir les critères d’appartenances et de discuter de leurs propres intérêts avec le gouvernement. De plus, les Métis ont maintenant l’assurance que le MSA continuera à protéger leur culture pour les générations à venir.

Certaines communautés autochtones ont jugé que la décision ne reflète pas adéquatement les relations entre les Métis et les Indiens. Les juges se fondent sur une idée préconçue des Métis et leur culture et exclu de la définition tous les Indiens

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